La Rose dans le bus jaune, d'Eugène Ebodé
Rosa Parks naquit le 4 février 1913. Cette année 2013 marque donc le centenaire de sa naissance, événement qui n’a pas échappé au romancier Eugène Ebodé qui lui consacre un roman intitulé La Rose dans le bus jaune, paru en février dernier, c’est-à-dire exactement au mois anniversaire de sa naissance.
« Montgomoriens, l’arrestation de Rosa et le jugement de son affaire exigent une forte désapprobation civile. Demain, nous, pasteurs et fidèles, ouvriers et employeurs, hommes et femmes, Noirs et Blancs confondus dans l’amour en Christ et dans la fraternité humaine, avons décidé de boycotter les bus, demain, partout à Montgomery ! Demain, nous n’entrerons pas dans les véhicules où règne depuis trop longtemps la discrimination raciale. » (page 157)
Voilà comment se mit en marche le mouvement qui aboutit à l’abrogation des lois ségrégationnistes aux Etats-Unis. La ségrégation, autrement dit la rigoureuse séparation entre les Blancs et les Noirs, en particulier dans le Sud, était appliquée dans tous les lieux publics.
« Même dans les cimetières de Montgomery, on pratiquait la ségrégation, comme si la mort pouvait être différente d’un Blanc à un Noir ! Quand on mourrait à Montgomery, on n’en avait donc pas fini avec les tracas ! Au ciel, lors du rendez-vous devant saint Pierre, y aurait-il un paradis pour Noirs et un autre pour Blancs ? Les adeptes de Jim Crow ne répondaient jamais à cette question. Si ! Ils la trouvaient incongrue. Le paradis n’existait que pour les Blancs, les Noirs portant déjà un enfer justifié en eux. » (page 192)
Ce roman retrace donc l’histoire de Rosa Parks et de l’action qui fera d’elle une figure de la lutte pour les droits civiques. Participèrent en première ligne à ce mouvement des personnalités comme Martin Luther King, surnommé « Wonderboy », à qui l’auteur prête les propos cités ci-dessus, dans le discours appelant au boycott. C’est son engagement dans cette lutte qui contribua à le faire connaître comme un jeune pasteur noir, partisan de la non violence. Bien évidemment il ne fut pas le seul à vouloir prendre la tête du mouvement et cela donna lieu à quelques rivalités. Mais dans l’ensemble, tous comprirent la nécessité de se ranger derrière celui qui semblait naturellement porter la responsabilité de ce rendez-vous avec l’histoire.
Il y eut également des Blancs fermement engagés dans cette lutte pour l’égalité des droits et c’est grâce à cette unité que les hauts murs de la ségrégation, que certains voulaient éternels, s’écroulèrent avec grand fracas. Quelle mobilisation tout de même, quelle volonté ! Malgré les intempéries, malgré les menaces et les actions criminelles du Ku Klux Klan qui n’hésita pas à torturer et à tuer des Noirs pour les décourager et rétablir le leadership blanc, les Noirs refusèrent de prendre les transports publics, allant à pied. Très vite des transports parallèles se mirent en place, sans quoi le mouvement n’aurait pu durer, et il dura 381 jours. Ceux parmi les Noirs qui avaient des taxis, et même des compagnies de corbillard mirent leurs véhicules à disposition pour que chacun rejoigne son lieu de travail ou sa destination. Que c’est beau, l’unité, la solidarité dan une cause commune !
Le roman se lit avec intérêt du début à la fin, mais j’ai particulièrement aimé le passage racontant l’histoire des esclaves dans les colonies, celui qui révèle l’ascendance de Douglas White, le Blanc (en réalité le métis) devant lequel Rosa Parks aurait refusé de se lever. Dans ce passage, les qualités narratives d’Eugène Ebodé sont particulièrement mises en lumière. J’aime le ton, j’aime les métaphores qui le parsèment, mais outre la valeur littéraire de ce passage, celui-ci retient également l’attention par sa valeur historique puisqu’on est à la source du conflit Blanc/Noirs aux Etats-Unis.
Les conflits ne sont pas terminés, le monde n’est pas encore parfait, mais pour pouvoir aller de l’avant, il faut avoir le courage et l’humilité de reconnaître ses erreurs, « car ce qui compte dans une vie, quand on a le sentiment d’être passé à côté de l’essentiel, c’est de s’amender, de corriger la trajectoire ». (page 128)
Eugène Ebodé, La Rose dans le bus jaune, Gallimard, collection Continent noirs, 2013, 316 pages, 19.90 €.