Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Valets des livres
25 janvier 2014

Le Gourou, une imposture congolaise, de Claude-Ernest NDALLA

Voici un roman dont j’ai terminé la lecture il y a plusieurs mois, mais dont j’ai toujours repoussé la rédaction de la critique, d’autant plus que le dernier trimestre de l’année qui vient de s’écouler a été très chargé pour moi, et sur tous les plans, il n’était pas facile de trouver le temps de faire une recension de livre. Les familiers de mon blog ont bien remarqué que les articles publiés sur les Valets des livres, prolongement de la Vallée des livres, étaient désormais épisodiques, voire occasionnels, alors que j’en publiais plusieurs par mois auparavant. Et lorsque vous tombez sur un ouvrage qui vous laisse perplexe, cela ne vous encourage pas à vous mettre à votre bureau pour faire le compte-rendu de votre lecture.

 

J’ai reçu l’année dernière un roman signé de Claude-Ernest Ndalla, personnalité politique du Congo Brazzaville que l’on connaît plus sous le pseudonyme de « Graille ». Si vous dites « Ndalla Graille », les Congolais sauront de qui il s’agit. C’était agréablement surprenant de voir les hommes politiques se mettre de plus en plus à l’écriture de fictions, mais j’étais en même temps curieuse de connaître la substance de cette fiction que nous proposait l’homme politique, de lire ce « roman », car il n’y avait pas de doute à ce sujet, la mention « roman » apparaît clairement sur la couverture. Que nous réservait donc Ndalla Graille dans son livre ? Serait-ce pour moi un moment de jouissance, d’émotion, d’ennui, de déception… ? Je me pose les mêmes questions chaque fois que je me prépare à plonger dans la lecture d’un roman : on entre dans un livre comme dans un univers, dans un village ou dans un petit cabinet dont vous avez vite fait le tour et que vous voulez quitter le plus rapidement possible, parce qu’il n’y a rien à voir. Au contraire lorsque vous avez l’impression de vous retrouver dans un roman comme dans la caverne d’Ali Baba, vous n’attendez qu’une chose, c’est de pouvoir y retourner. Et à chacune de vos visites, vous tombez sur des trésors que vous n’aviez pas remarqués précédemment. Quel serait donc le cas pour Le Gourou, une imposture congolaise ?

 

livre Graille

Le titre, déjà, intriguait, d’autant plus qu’il était appuyé par une illustration de couverture très parlante. Méfiez-vous des apparences, semble crier cette illustration, ouvrez bien les yeux : non seulement vous vous apercevrez que la bible que brandissent certains n’est qu’une arme de dissuasion, une manière de dissimuler la véritable arme de guerre que vous ne voyez pas au premier abord, mais vous pourrez aussi distinguer les yeux rouges de ces imposteurs, ces gens qui ne sont plus maîtres d’eux-mêmes à cause du cocktail drogue-alcool ou parce qu’ils sont les suppôts de Satan.

 

Mais bon, on sait ce que sont les illustrations, qui peuvent prêter à de multiples interprétations selon la sensibilité de chacun, il faut les confronter au contenu du livre. Et le contenu du Gourou a vite fait de vous ôter tous vos doutes. Il s’agit dans ce roman de Claude-Ernest Ndalla de montrer la vraie nature de celui qui se fait appeler « Ntoumi », autrement dit « l’envoyé, le messie », cet homme du Sud qui a séduit et entraîné à sa suite bon nombre des concitoyens de sa région, et à la tête desquels il a voulu se dresser contre les pouvoirs politiques du pays. Les personnages, en particulier le personnage central, est clairement nommé, parfaitement identifiable. Je précise que nous sommes dans un roman et que ledit personnage est toujours vivant, cependant Ndalla Graille a pensé qu’il fallait édifier les lecteurs sur la véritable personnalité de ce soi-disant « messie », que les gens comprennent qu’il n’a fait que berner les populations, que ses véritables motivations n’étaient pas louables, c’est tout simplement un homme de la pire espèce, qui se laisse guider par ses plus bas instincts, c’est un homme nuisible à la société congolaise, en particulier aux ressortissants du Pool dont il a voulu faire les partisans.

 

Je ne peux me départir d’un sentiment de malaise lorsqu’une personne désigne une autre comme étant la pire des plaies qui gangrènent la société, car cela reviendrait à dire que cette personne est sainte contrairement à celle qui est mise au banc des accusés, qui apparaitrait comme le diable ou, pour ne pas employer des termes aussi forts, cela reviendrait à regarder la poutre qui est dans l’œil de l’autre tandis qu’on n’aperçoit pas la paille qui se trouve dans son propre œil. Franchement, Ndalla Graille croit-il faire une révélation fracassante en déclarant que le dénommé « Ntoumi » travaille d’abord pour lui et non pour la population dont il s’est prétendu le « messie » ? N’est-ce pas d’ailleurs le cas de tous les hommes politiques ? Peut-on compter le nombre de tous ceux qui ont fait de belles promesses et qui, une fois qu’ils sont élus, oublient de réaliser les promesses faites au peuple ? Une fois qu’ils sont au soleil, une fois qu’ils ont accès au lait et au miel, cela perturbe-t-il leur sommeil que les autres crèvent de faim ? Etait-il besoin de faire un livre dans le seul but de convaincre les lecteurs de ce que Bénédict Fuabissalu, alias « Ntoumi » est le mal personnifié ? Il n’est désigné que dans des termes extrêmement péjoratifs : « le fou au service des forces démoniaques » (p. 32), une assimilation est même faite à Ben Laden, en page 119. Autrement dit, « Ntoumi » serait la personne la plus dangereuse du Congo sans laquelle le pays se porterait mille fois mieux, il y aurait donc urgence à l’éliminer, pour que le Congo soit prospère, pour que la paix règne, pour que l’économie fasse un bond… Vu comme cela, le projet du livre de Claude-Ernest Ndalla n’a pour moi aucun intérêt. Encore, s’il y avait autre chose dans le livre à quoi on puisse se raccrocher, ce serait pas mal, mais ce n’est, à mon sens, pas le cas. Quoi qu’en dise la page 59, extrait repris en quatrième de couverture, moi je n’ai rien vu d’autre :

« La guerre qui ravage le Pool est la pire des guerres, la pire des sales guerres civiles. Mais disons tout de suite que ce livre n’a pas été inspiré par les affrontements fratricides. Tout juste sert-il de fond sonore aux problèmes que les hommes et les femmes d’un pays rencontrent en cas de grise aiguë, crise politique, sociale et économique. Tous ces différents aspects de la vie seront abordés par petites touches et épisodes et non dans des traités spécifiques souvent fort savants, ennuyeux, pour ne pas dire incompréhensibles. »

 

Le livre ne repose que sur la dénonciation du « gourou », qui serait au cœur de la guerre qui a détruit le Pool, comme si cette guerre était le fait d’une seule personne. Je pense que les lecteurs avertis ont bien compris que mon propos n’est pas de prendre le contrepied de Ndalla Graille et de dire « Ntoumi » est un saint, mais plutôt de dire que s’il a causé la perte de nombreuses vies, il n’est pas le seul à porter cette responsabilité, et l’homme politique qui le premier se lève pour dire « voilà le diable », apparaît pour moi comme le véritable imposteur. D’autant plus que le roman lui-même montre combien « Ntoumi » n’a été en fait qu’un pion sur un échiquier plus large qu’on ne le pense et que les véritables acteurs de la guerre qui s’est déclarée dans le Pool sont à chercher ailleurs. On lit à partir de la page 76 comment Ntoumi se serait fait enrôler dans une cause qui ne lui appartient pas.

 

Mis à part la problématique du livre, qui comme je l’ai dit ne m’a pas séduite, le roman est correctement écrit et ses multiples références littéraires pourraient plaire à plus d’un. On pourrait même dire que le roman respire une certaine prétention à l’érudition littéraire et scientifique, tant les références sont nombreuses.


Claude-Ernest NDALLA, Le Gourou, une imposture congolaise, L’Harmattan, 2013, 214 pages, 19.50 €.

Publicité
Publicité
Commentaires
L
"L'imposteur c'est celui qui traite Ntoumi d'imposteur" : bien vu Liss. Selon la théorie du bouc-émissaire, il fallait bien un coupable pour justifier les crimes commis par Sassou dans le Pool. Or l'ennemi de Ntoumi, Monsieur Ndalla Graille, est l'ami de Sassou lequel, par la suite est devenu l'ami de Ntoumi dont il a fait un secrétaire d'Etat dans son gouvernement. Alors la question est : a qui ont profité les "crimes" de Ntoumi ? Voici la réponse : la démolition de la région du Pool fut le but poursuivi par Sassou, pote de Ndalla Graille. Donc Ntoumi a rendu service à Graille. Conclusion : si Ntoumi est un imposteur, Ndalla Graille est Machiavel en personne doublé d'une canaille.
Répondre
L
Vous avez raison, l'humilité est préférable à la vanité, hélas pour nos contemporains le posséder leur fait oublier l'Être. Mouélé Kibaya
Répondre
K
Merci de laisser trace de votre passage ici, le Pangolin. Je pense en effet que nous devons apprendre à nous regarder d'abord nous-mêmes en face. Merci pour vos mots.
Répondre
L
bravo et merci pour cette belle critique qui vous saisit et interpelle chacune de nos postures et faux fuyants avant qu'ils ne deviennent des véritables impostures.
Répondre
Valets des livres
Publicité
Archives
Publicité