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Valets des livres
8 mars 2014

Une vie de brimades en terre promise, de Monique-Alfred Ondze Abouem

Une femme ne peut-elle être regardée autrement que comme un objet de désir ? N’est-il pas possible de se satisfaire de son savoir-faire professionnel ? Faut-il toujours qu’elle soit convoitée, qu’elle soit le jouet des fantasmes masculins, qu’elle soit une chose aux mains de tous ceux qui veulent faire d’elle ce qu’ils veulent ?

Telles sont les questions que pose le roman Une vie de brimade en terre promise, de Monique Alfred Ondze Abouem, qui peut être résumé par la confession de l’héroïne, page 169 : « Oui, j’ai souffert. J’ai souffert avec ma famille. J’ai souffert avec les hommes ».

 

Couv UneViedeBrimade

 

En cette journée du 8 mars, un constat s’impose : cette journée n’est pas prête à tomber en désuétude, il est toujours autant utile de mobiliser l’attention générale pour rappeler qu’il dépend de chacun que la femme soit en pleine possession de ses droits, partout dans le monde, qu’elle soit libre de donner à sa vie le cours qu’elle aura choisi. 

 

Comme l’annonce le titre, Une vie de brimades en terre promise raconte les malheurs d’une jeune fille, Nadège Wallaby, que la malchance frappe dès son plus jeune âge. Toute petite, elle ne bénéficie pas de la présence et la chaleur maternelles, car sa mère a renoncé à son rôle de mère pour se consacrer entièrement à ses amants. Son père, le seul à avoir su lui témoigner de l’affection, est très vite diminué physiquement, puis il meurt, recommandant à sa fille aînée, Aïcha, de prendre soin d’elle et de l’emmener avec elle dans le pays voisin où elle va s’installer. Rock Wallaby promet à sa fille Nadège que ce sera la « terre promise » pour elle.

 

Elle quitte donc la  « Couramen », qui est l’anagramme de « Cameroun », tandis que le « Gonoc Avillazerbaz » fait penser au Congo Brazzaville, hypothèse confirmée par l’indicatif pays des numéros de téléphones dans le roman : « 00242… ». Mais il est également fait mention des compatriotes ivoiriens. Alors Nadège est-elle de Couramen ou de Côte d’Ivoire ? Peu importe ! Tout ça, c’est l’Afrique… euh, je veux dire le « Rifaque ».

Nadège ne connaît pas auprès de sa « sœur-mère », la vie innocente des enfants, la vie de réconfort à laquelle elle aspirait après des premières années d’existence difficiles en raison de l’absence de la mère et du décès de son père. Au contraire, commence pour elle de longues années de dur labeur, sans répit et sans être nourrie ni vêtue convenablement. Tous les travaux de la maison lui incombent. Elle est comme Cosette chez le couple Thénardier. Mais en plus, elle est battue à la moindre occasion, cependant elle fait tout pour dissimuler toutes les marques qui peuvent attirer l’attention sur la vie de maltraitance quotidienne qu’elle endure, ou alors elle trouve des excuses pour justifier ces marques, les représailles seraient terribles si jamais Aïcha se savait dénoncée. Nadège est donc tenue au silence, et les années passent ainsi.

 

Malgré les privations et la surcharge de travail domestique, les résultats scolaires de Nadège sont bons. Elle tient bon. Son corps se développe et suscite des convoitises autour d’elle, au point d’être abusée à de multiples reprises. Les premières expériences sexuelles sont amères. Malgré tout, elle s’accroche à la vie, elle croit en l’amour, elle croit en une puissance divine qui la protège malgré tout. Nadège, par son entêtement à vouloir vivre et à n’avoir aucune haine envers ceux qui lui font du mal, me fait penser à Félicité, l’héroïne de la nouvelle Un cœur simple, de Flaubert. De la tristesse, oui, mais aucune amertume, elle reste elle-même : une fille courageuse, généreuse. Qu’il s’agisse de Nadège ou de Félicité, les malheurs qui pleuvent dans leur vie auraient pu les aigrir, mais elles ne se départissent pas de leur douceur, de leur bonté. Nadège tente une fois de mettre un terme à sa vie, mais elle le fait savoir auparavant, si bien qu’elle est sauvée. Sa tentative n’était qu’un appel au secours. « J’avais la peau dure et j’étais une enfant très brave », déclare-t-elle, page 93. Sa force, c’était sans doute l’amour reçu de son père et surtout sa  bénédiction avant de mourir. Le ciel devait forcément s’éclaircir pour elle, mais c’est après avoir été assaillie de toutes parts, surtout par les hommes, les uns voulant avoir l’exclusivité de ses charmes, les autres ne comprenant pas comment une femme qui se trouve dans le plus grand dénuement peut résister à l’argument qu’ils jugent suprême : l’argent. En cela Nadège me fait penser à Denise, l’héroïne du Bonheur des Dames, de Zola.

 

Ce roman de Monique Alfred Ondze Abouem n’est pas une prouesse du point de vue du style, il est plutôt écrit dans le souci de libérer une parole longtemps tue. « Un seul désir m’habitait… : dire », déclare l’auteure dans l’avant-propos. Le travail sur la qualité de l’expression vient donc en second plan. Quoique les auteurs abhorrent de se voir confondus avec leurs personnages, il n’en demeure pas moins que chaque œuvre contient plus ou moins des expériences personnelles. Et lorsque ces expériences sont le vécu de nombre de femmes, comme c’est le cas pour Une vie de brimade en terre promise, un tel roman devient un formidable moyen d’expression, une manière d’encourager les femmes à ne pas se laisser abattre, à rester fidèles à elles-mêmes, à croire en leurs rêves et à se battre pour que ceux-ci se réalisent.

 Ce roman est comme la revanche d’une fille qui devait taire toutes les injustices qui lui étaient infligées, une fille sur laquelle on avait prédit le destin le plus ignoble, et qui déclare au monde entier, par le moyen de l’écriture,  qu’elle s’en est sortie, grâce à sa détermination.

 

 Monique Alfred Ondze Abouem est née en 1986 au Cameroun. Elle est commerçante. (4e de couverture)

 

 Monique Alfred Ondze Abouem, Une vie de brimades en terre  promise, Editions  L’Harmattan-Congo, 220 pages, 21.50 €.

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Commentaires
K
Bienvenue sur ce blog, Mangane, l'auteure du roman se réjouira de lire votre commentaire sur son roman. Merci d'avoir partagé vos impressions sur cette lecture.
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M
Hello Salut je ne sais si je doit vous appeler Nadège ou Monique je souhaiterais juste vous dire que vôtre Livre est formidable, je n'aurais des mots juste pour vous le dire je vous souhaite ardemment bon courage et long vie a vous et à nous votre livre ma redonné le goût de la lecture encore merci j'ai lue tout votre ouvrage sur la vie de brimade et j'ai beaucoup aimé.
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K
Je te souhaite d'avance bonne lecture, toi qui a brossé des portraits masculins dans tes nouvelles, tu apprécieras de voir comment ils se comportent dans ce roman-ci.
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O
Hello!<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne connaissais pas. Après avoir lu ici, je suis allé farfouiller sur la toile et j'en ai lu une autre présentation.<br /> <br /> <br /> <br /> Cela donne envie et je note dans mes projets de lecture...<br /> <br /> <br /> <br /> @+, O.G.
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S
En tout cas, le titre est très poétique... et j'aime bien. Il ne faut pas que la peur de ne pas avoir un style enchanteur empêche l'outre qui est en nous de s'épancher ! Non ! Il vaut mieux dire naturellement et maladroitement les choses que de rechercher la belle robe pour envelopper des futilités.
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