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Valets des livres
1 mai 2014

La préférence nationale, de Fatou Diome

La Préférence nationale est un recueil de six nouvelles, publié en 2001. Ce premier livre de Fatou Diome était déjà tout plein de promesses de délices pour ses lecteurs. Fatou Diome a confirmé, avec ses romans ultérieurs, la qualité d’une plume qui narre avec agrément, avec justesse.

 

couv Préférence nationale

 

L’art, chez Diome, c’est déjà l’ordre dans lequel les six nouvelles sont classées, comme si elles étaient chacune une étape de la vie du même personnage féminin, présent dans tous les textes, un personnage qui fait fortement penser à l’auteur.

Nous partons donc du Sénégal où une jeune enfant doit poursuivre sa scolarité au collège. Elle quitte donc son village natal pour Foundioune, elle est accueillie dans une famille polygame. Les bouches à nourrir sont nombreuses, mais l’héroïne est astucieuse, disons même qu’elle est intelligente. Elle sait qu’elle doit continuer à vivre là, malgré la promiscuité, malgré le manque de nourriture, si elle veut poursuivre sa scolarité. Elle doit donc s’organiser pour survivre, gérant parcimonieusement un petit pécule gagné à la sueur de son front, mais c’est sans compter la double convoitise financière et charnelle du père de famille. Et c’est là que l’on découvre que l’humanité, la générosité se trouvent souvent là où on les attend le moins. 

Dans la deuxième nouvelle, « Mariage volé », la toute jeune collégienne cède la place à une jeune lycéenne qui va passer son oral de BAC et qui tombe amoureuse de son examinateur. L’amour est réciproque, pourtant, cinq ans plus tard, la jeune femme se marie avec un autre, un homme qui semble un Occidental. C’est, de toutes les nouvelles du recueil, celle qui laisse un goût de frustration, car on ne sait pas pourquoi les deux jeunes gens, qui s’aimaient et qui s’aiment toujours visiblement, ne sont pas ensemble. Pourquoi la jeune femme devient-t-elle curieusement Mme Fried ?

A partir de la troisième nouvelle, on se retrouve en France, à Strasbourg, où une jeune étudiante en lettres, venue du Sénégal, séparée de son mari français, peine à trouver un emploi pour subsister. Elle comprend que, pour en décrocher un, il lui faut feindre l’ignorance, passer pour la guenon inculte, celle qui ne sait faire qu’une chose : le ménage, la nounou, car ce sont les seuls emplois dont les femmes noires sont capables. Si jamais elle brandit sa Licence de Lettres pour postuler à un emploi de cours de soutien pour petits collégiens, on se récrie : « Je veux une personne de type européen […] : je ne veux pas qu’on me bousille l’éducation de mon enfant. » 

Les nouvelles « Le visage de l’emploi » et « La préférence nationale » sont cocasses. J’ai bien aimé le renversement de situation qui s’opère dans « Le visage de l’emploi », ce qui n’est absolument pas le cas dans « Cunégonde à la bibliothèque », où le couple qui emploie la jeune étudiante découvre que leur femme de ménage est une lettrée. Elle est remerciée du jour au lendemain ! Les Dupire n’avaient pas cette once de grandeur morale qui donne aux Dupont le courage non seulement de traiter désormais leur employée domestique avec moins de mépris, mais aussi de ne plus l’exploiter. Comme leur nom l’indique, les Dupire sont les pires employés de la jeune femme, qui non contents de l’avoir pendant longtemps surnommée Cunégonde, du nom d’un des personnages de Voltaire dans le conte philosophique Candide, n’acceptent pas l’humiliation de savoir que, en réalité, elle en sait plus qu’eux sur le chapitre littérature. 

Puis il y a la nouvelle « Le dîner du professeur », dans laquelle l’étudiante sénégalaise continue à trimer tout en continuant à aller à la Fac. Mais elle a aussi une relation avec un intellectuel, qui du haut de sa chaire de professeur d’université, n’est pas si différent des autres. Il ne perd pas la moindre occasion pour étaler ses connaissances. Mais que sait-il du cœur humain, de ce que peut ressentir ou désirer sa partenaire ? Tout ce qui l’intéresse, c’est son plaisir. 

Difficile de trouver un emploi correspondant à sa formation, à ses diplômes, en France, lorsqu’on vient d’ailleurs, en particulier d’Afrique. Depuis 2001, date de publication de ce recueil, le monde du travail a-t-il changé ? On regarde toujours à la peau, à l’accent, pour certains emplois. Et le racisme primaire qui nous est présenté dans ces nouvelles est-il en voie de disparition ? Il y a à peine quelques jours, le footballeur brésilien Dani Alves, qui est en permanence victime de racisme sur les terrains de foot, a trouvé la géniale idée de répondre à ce racisme primaire en mangeant une banane avant de tirer son corner. Et dans notre France aux belles valeurs, on n’est pas en reste. On ne compte plus les insultes racistes dont la ministre de la justice, Mme Taubira, est victime. Le point positif c’est que, pour Dani Alves comme pour Christiane Taubira, une campagne de soutien, à laquelle prennent part de hautes personnalités, se met aussitôt en place pour dire le ras-le-bol contre ce racisme primaire, qui émane souvent de gens qui dans la société se considèrent comme d’honnêtes et dignes citoyens. 

En effet, il ne faut pas s’y méprendre, comme le suggère les noms propres des personnages dans le recueil La Préférence Nationale, de Fatou Diome, c’est Monsieur Tout le monde qui réagit face aux Noirs comme au temps de la colonisation ou de l’esclavage. 

Ces histoires saupoudrées d’humour, avec un brin d’ironie, servies dans un langage imagé et relevé d'aphorismes, font de ce recueil un excellent moment lecture, un recueil qui dévoile les bassesses de l’homme. Sous tous les cieux. Ce qui domine en effet, que ce soit au Sénégal ou en France, c’est la lubricité des hommes, prête à montrer son visage derrière le masque du père de famille respectable, derrière celui du digne citoyen français qui, avec sa femme, se moque de la nounou noire de leurs enfants, mais dont la verge ne manque pas de se dresser chaque fois qu’il la voit.

« C’est curieux, quelle que soit la dimension sociale, morale et physique d’un homme, on arrive toujours à le ranger entre les deux jambes d’une femme. L’entrejambe d’une femme, l’alpha et l’oméga de l’homme : il naît de là, et toute sa vie il y retourne. »

 (La Préférence nationale, page 121)

 

Je crois que ma préférence va vers la première nouvelle du recueil, qui est bouleversante. Cette amitié fidèle, forte, entre la mendiante et l'écolière m'a fait ressentir une émotion similaire à celle que j'avais éprouvée à la lecture de La Petite fille de Monsieur Linh, qui relate une autre histoire d'amitié. 

 

Fatou Diome, La Préférence Nationale, Editions Présence Africaine, 2001, 128 pages.

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