Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Valets des livres
6 juillet 2014

Le Mort vivant, d'Henri Djombo

Le Mort vivant est le récit d’un homme sur lequel l’appareil judiciaire et politique s’est acharné, au point que, pour son entourage, il était certain qu’il ne faisait plus partie du monde des vivants.

 

Couv mort vivant

 

Alors qu’il se promenait tranquillement dans le village où il s’était rendu pour les obsèques de sa sœur défunte, Joseph est enlevé, accusé de complot. Il est déféré à la prison de la capitale où on n’attend qu’une chose : qu’il reconnaisse son forfait, qu’il signe le rapport préparé par des agents zélés et qui le présente comme un acteur principal du complot qui se tramait contre le pouvoir en place. Ces aveux de Joseph seraient le signe de l’efficacité des agents entre les mains desquels il se trouve, de ceux qui ont organisé son enlèvement en particulier, et leur attireraient donc la bienveillance, la reconnaissance du pouvoir. Autrement dit, ils gagneraient des promotions et gratifications importantes. Tout sera donc mis en œuvre  pour   faire avouer Joseph. Mais ce dernier refuse de reconnaître des faits qu’il n’a pas commis. Il subira donc les pires tortures jusqu’à ce que, celles-ci n’étant d’aucun effet sur son moral mais seulement sur son physique (il doit être réanimé plusieurs fois), on essaie de l’allécher par des traitements de faveur. On lui fait même rencontrer le président du Yangani : Nzétémabé Bwakanamoto, un chef d’état autocratique qui rappelle un autre personnage : Bwakamabé na Sakkadé, héros du Pleurer-Rire d’Henri Lopes. 

En effet, ce roman d’Henri Djombo peut être classé dans la même catégorie que Le Pleurer-Rire et La Vie et demie, de Sony Labou Tansi, des romans qui pourfendent les régimes où l’élimination en masse des opposants ou des présumés opposants rythme la vie politique ; ces romans qui tournent en dérision les ‘‘guides providentiels’’ : 

« Persuadé qu’il était infaillible et omniscient, le président était ivre des applaudissements de cet entourage flatteur qui le rendaient sûr de sa longévité. Il faisait dresser partout dans le pays des statues à son effigie, accrocher ses portraits à tous les croisements de rues et chanter des louanges à longueur de journée à la radio et à la télévision d’Etat. Ayant en mains tous les pouvoirs, il en jouissait à sa guise. »

(Le Mort vivant, page 95.)

 

L’histoire met en scène deux Etats voisins, deux Etats frères qui, semble-t-il, n’en formaient qu’un au départ : le Yangani, où règne Nzétémabé Bwakanamoto, dont le nom traduit le mauvais fond du dictateur, et le Boniko, d’où est originaire Joseph. Ces pays imaginaires pourraient représenter n’importe quel pays d’Afrique dont le développement est compromis par des pratiques politiques suicidaires, puisque, au lieu d’utiliser les hommes compétents du pays, les régimes s’acharnent à les éliminer ou à les contraindre à l’exil. 

Le Mort vivant n’est pas seulement une satire politique, c’est aussi une satire sociale. Les mœurs de la société sont passées au crible. Exemple, avec la sorcellerie :

« Bien que ma sœur se fût suicidée, une partie de ma famille s’affairait à élucider les raisons, donc le comment et le pourquoi de sa mort. Les marabouts et les nganga se poussèrent des plumes ; de zèle, ils se montèrent des ailes. Comme par hasard, leurs révélations concordantes correspondirent au portrait de l’oncle Nayébité. Ceux qui ruminaient des rancœurs et étouffaient le ressentiment envers lui s’en servirent à bon escient. »

(Le Mort vivant, page 31.)

 

Le roman est écrit dans une langue qui contentera les amoureux des choses bien dites. J’ai particulièrement été sensible au langage métaphorique, qui constitue tout de même pour moi le sel d’une œuvre littéraire. Exemple, page 62 : « J’essayai d’émettre des sons, pour soumettre à l’exercice mes cordes vocales rouillées par le silence. »  

Autre exemple, page 109 : « Même les cauchemars qui agitaient mon sommeil s’envolaient et laissaient vierge la forêt de mes souvenirs. »

Allez, un dernier exemple qui montre combien le roman est bien écrit : « La nuit faucheuse de destins mettait fin aux souffrances des détenus en les soulageant ainsi et chassait à jamais ces cauchemars qui ponctuaient leur sommeil souvent entrecoupé d’un réveil angoissé. Et chacun s’en allait avec ses mauvais souvenirs de l’enfer des hommes, emportait avec lui ses aigreurs, ses rancunes, ses messages et ceux des autres. » (Le Mort vivant, page 122). 

Oui, ce roman décrit ‘‘l’enfer’’ organisé par les hommes sur terre, alors qu’on pourrait y vivre plus sereinement, si les hommes politiques agissaient avec plus de justice et d’équité, de respect pour l’être humain, mais « le respect des droits de l’homme ? Eh bien c’est un idéal. Il y a encore du chemin à faire pour y arriver dans nos pays. » (page 121).

La politique dans ce roman est présentée comme la « pourritique » (p. 97), et c’est un coup de chance si Joseph survit à tout ce qu’il a vécu. Il raconte sa descente et sa sortie de l’enfer dans une longue lettre adressée à son cousin, ambassadeur du Boniko à l’étranger, qu’il invite à le rejoindre pour former avec lui une « équipe cohérente », qui oriente les hommes « dans la direction du progrès » (p. 183).

De l’auteur, j’avais lu Sur la braise, à l’époque où j’étais encore étudiante, autant dire que je ne m’en souviens pas. Le Mort vivant est donc ma vraie rencontre littéraire avec celui qui est actuellement le Président des artistes et écrivains du Congo et que j’ai également rencontré physiquement durant mon séjour à Brazzaville. Homme généreux et disponible dès qu’il s’agit de livres et de culture, il apparaît également, dans son œuvre, en tout cas dans le roman Le Mort vivant, comme un homme soucieux du devenir de l’humanité.

 

 Henri Djombo, Le Mort vivant, roman, Editions Présence Africaine et Hémar, 2000, 208 pages.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Valets des livres
Publicité
Archives
Publicité