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Valets des livres
26 juillet 2014

Afin que tu te souviennes, d'Emilie-Flore Faignond

Afin que nous nous souvenions de cette période qui précède et qui suit les indépendances congolaises, Emilie-Flore Faignond écrit Afin que tu te souviennes. C’est son autobiographie, certes, mais c’est surtout une immersion vivante, émouvante, édifiante dans la communauté des Métis des deux rives du fleuve Congo.

 

Couv Faignond

 

Léopoldville, qui devient par la suite Kinshasa, et Brazzaville sont les deux scènes principales de cette longue tranche de vie, qui commence aux premiers frémissements de cette fleur sensible qu’est Emilie-Flore, jusqu’à ce que les pétales de cette fleur soient arrachés, un à un, avec une violence, une rage inattendues, mais la fleur résiste, renaît : c’est qu’elle est alimentée dans le secret de la terre par le fleuve Congo, dont la force parvient jusqu’à elle et l’apaise.

 

Emilie-Flore Faignond photo 1

 

Emilie-Flore Faignond a été très tôt éveillée aux mystères et beautés de la nature, grâce notamment à sa grand-mère maternelle, Bajana Marie, désignée par « la vierge du Luebo », avec laquelle elle partage une communion totale avec le fleuve Congo. « Où que tes pas te mènent, n’oublie jamais le grand fleuve », lui disait cette grand-mère, « il est notre mémoire, notre passé, notre avenir ». Le fleuve est et sera toujours pour Emilie-Flore, l’ami fidèle, l’ancêtre vivant qui veillera sur elle surtout lorsque la grand-mère disparaît, il est le refuge, le repère, le point d’ancrage, lorsque tout tangue autour d’elle, lorsque la société est en ébullition, lorsque les masques se succèdent sur les visages de ceux qu’elle croit connaître :  « lui seul n’avait pas changé depuis mon enfance » (page 267)

Par exemple, à l’approche du mariage et de ce moment qui fera d’elle une femme, la jeune-fille candide qu’elle est ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine appréhension, difficile à dissiper, sinon dans les bras de son Congo, son premier amant : 

« Voluptueusement, je dénouais mes longs cheveux, qui tombèrent en cascade soyeuse sur mes épaules nues et offris – comme autrefois la vierge du Luebo, Bajana Marie – mon corps jeune, ferme et chaste à l’étreinte intime des flots argentés du puissant Congo. Je lui livrais sans pudeur ma nudité puis immergeait la tête dans le creux de son lit, plus que jamais je lui appartenais et serais toujours sienne : à lui avant tout autre ; fille congolaise baptisée en solitaire dans l’un des plus grands fleuves de la terre. » (page 268).

 

Le chemin de vie d’Emilie-Flore Faignond est parsemé depuis sa naissance de bris de verre, d’épines qui s’enfoncent dans sa chair et dans son cœur, mais la poésie qui l’habite et imprègne ces pages du roman la porte toujours à s’arrêter sur le positif, à oublier le négatif ou à le repousser dans les lieux les plus reculés de sa mémoire, si bien qu’elle a grandi tant bien que mal, entre Léopoldville où elle allait passer ses vacances auprès de Bajana et toute la famille maternelle de sa mère, et Brazzaville, lieu de résidence du couple formé par sa mère, Emma, et le compagnon de celle-ci, appelé « tonton » par les trois enfants d’Emma. Léon, Georgette et Emilie-Flore, dite « Milou »,  ont chacun leur père. Non que la mère manque de stabilité, mais cette stabilité lui est refusée à cause de sa condition de métisse et des mentalités de l’époque. Emma, comme tant d’autres femmes de sa condition, connaîtra les désillusions amoureuses, sera confrontée à la lâcheté, la trahison, l’abandon masculins. « Tonton », lui aussi, s’en ira, après avoir eu avec Emma une fille : Solange. Il se mariera avec une autre, au Centrafrique. Même si aucun le l’épouse, chacun des hommes qu’Emma, la mère d’Emilie-Flore, a connus a su donner à ses enfants l’amour nécessaire à l’épanouissement de ceux-ci, c’est le cas du père de Milou : Faignond, que sa fille désigne par le « Seigneur des savanes », homme aux conquêtes multiples mais qui assume ses responsabilités de père et profite au maximum du peu de temps où tous ses enfants, de différentes mères, sont réunis sous son toit.

Si bien que l’enfance d’Emilie-Flore est plutôt heureuse, malgré les blessures de l’âme infligées premièrement par une société qui exècre les peaux sombres et sublime les peaux claires. D’autre part, Emilie-Flore souffrira de ne pas toujours être auprès de ceux qu’elle aime : chaque fois il faut se séparer, chaque fois la cellule familiale se transforme, change au gré des unions, des séparations, des naissances, des voyages, des circonstances politiques…

Mais lorsqu’arrive l’adolescence et les confusions occasionnées par la vie amoureuse,  commence alors une nouvelle page de sa vie qui aboutit à un mariage. Il paraît tout plein de promesses, mais c’est une descente dans la lie la plus abjecte qu’elle entame. Cette deuxième partie du livre, où la femme éclipse la jeune « cendrillon », maintient le lecteur dans une révolte constante, jusqu’au bout. 

Tous les couples thématiques sont réunis dans ce roman : l’amour et la haine, la vie et la mort, la religion et le fétichisme, la confiance et la trahison, les hauts et les bas, le miel et le fiel, l’égoïsme et la générosité, la pudeur et l’indécence, la franchise et le mensonge… 

Bref, Afin que tu te souviennes est un roman riche d’expériences de vie qui retiendront le lecteur captif. Il est aussi un témoignage sur la vie politique des deux pays autour des indépendances, du Congo Brazzaville surtout, dirigé tour à tour par l’abbé Fulbert Youlou, « l’homme à la soutane de Dior », qui n’aura jamais l’estime de Milou et de sa famille, et pour cause ;  Massamba Débat, Marien Ngouabi… On assiste à l’orientation vers le socialisme scientifique. De l’autre côté du fleuve, on entend parler de Lumumba, plus tard de Mobutu…

Mais ce roman montre surtout comment les Métis, cherchant une place que semblaient leur refuser les Blancs aussi bien que les Noirs, se sont repliés sur eux-mêmes, formant comme une troisième race, un monde à part, avec ses complexes, ses forces et ses faiblesses.

 

Emilie-Flore Faignond, Afin que tu te souviennes, Editions Paulo-Ramand, 2013, 696 pages, 26 €. 

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Commentaires
M
LIVRE DE CONTE<br /> <br /> Le chemin de notre RÉussite n'est peut-Être pas LÀ OÙ nous cherchons ...<br /> <br /> Comment le savoir ?<br /> <br /> Vous pouvez avoir un reponse dans l'un des contes de Mabah.<br /> <br /> http://www.edilivre.com/les-contes-de-mabah-marius-bonfeu.html
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