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Valets des livres
7 août 2017

Le mariage interdit, d'Edouard Kali-Tchikati

Quelle est la denrée la plus recherchée des femmes ? La réponse dépend des femmes dont on parle, de leur pays de résidence et de la culture dans laquelle elles baignent depuis leur enfance, de leurs conditions de vie... Oui, tout dépend de la société dans laquelle elles vivent et de leur parcours personnel. Si une femme a une activité professionnelle qui lui assure une sécurité financière enviable, son besoin de trouver un homme sera motivé par d'autres raisons que celles d'ordre économique ou financier.  Or dans certains pays, les femmes considèrent que le moyen le plus rapide, le plus efficace pour elles de se s'assurer la sécurité financière, c'est de se trouver un mari, et pas n'importe quel mari, un mari fortuné ! Et qu'est-ce qui permet de faire fortune au Congo... ? Le pétrole ! Enfin, le pétrole ne profite pas à toute la population, seulement au petit groupe de personnes qui fait fonctionner cette industrie, mais ça c'est un autre problème.

 

 

Couv Kali Tchicati

 

 

 

Ce qui est clair et net dans l'esprit des Congolais, c'est que ceux qui travaillent dans le pétrole gagnent très bien leur vie, et se mettre dans l'orbite de ceux qui travaillent dns le pétrole, c'est pouvoir tirer aussi profit, d'une manière indirecte, de cet or noir que le bon Dieu a bien voulu faire couler en abondance sur les terres congolaises. Ainsi, soit on gravite autour de ceux qui détiennent le pouvoir et qui distribuent bien-être ou mal-être, selon que vous les caressiez ou non dans le sens du poil, soit on se met d'une manière ou d'une autre dans le sillage du pétrole. Mais c'est un autre problème, Edouard Kali-Tchikati ne parle pas du tout de politique dans son livre, son roman, Le Mariage Interdit, est un roman de moeurs. Il fait le portrait de la société de son époque, montrant comment, dans la ville dont l'économie repose en partie sur le pétrole, la chasse au mari pétrolier est devenue le sport le plus pratiqué par les femmes. C'est ça, trouver un mari pétrolier, c'était "une aubaine", c'est "ce dont toutes les jeunes filles de la ville rêvaient. En effet, plusieurs d'entre elles partaient de toutes les régions du pays et s'installaient à Ndjindji, dans l'espoir de se marier avec un pétrolier. Elles développaient plusieurs stratégies pour se faire remarquer par ces hommes" (p. 6).

 

Houyivane est l'un de ces jeunes pétroliers qui n'ont pas besoin de fournir des efforts pour conquérir des femmes : elles tournent autour d'eux comme des abeilles, pour ne pas dire comme des mouches. Houyivane n'a eu qu'à choisir. L'heureuse élue s'appelle Zibline. Elle n'avait pas lésiné sur les moyens de se mettre en valeur. "Elle était suffisamment charmante et fortement dépigmentée pour se faire remarquer dans ce genre de milieux. Il semble que le teint clair était un label de qualité, une touche supplémentaire indispensable pour s'élever au-dessus des autres". (p. 7)

Malgré le tableau qui est fait des pétroliers de Ndjindji, qui multiplient les femmes et les maîtresses à mesure que leur fortune s'accroît, Houyivane réussit, avec le mariage, à mener une vie rangée, voire exemplaire de bon père de famille. Puis le démon des conquêtes féminines le saisit de nouveau, au point que son mariage est mis en péril et qu'il emménage avec une autre femme, Landou. Mais cette union ne connaît pas la consécration officielle qu'espérait Landou, forte déjà d'une première expérience désastreuse avec les hommes. Entre Zibline qui sera évincée de la maison qu'elle a contribué à construire et Landou qui, malgré ses efforts et sa patience, n'obtiendra jamais la récompense souhaitée, les grandes perdantes dans ce roman, ce sont les femmes, car leur vie tourne autour du mari, c'est de lui que dépend leur épanouissement. Et même si elles étaient indépendantes financièrement, elles ne se seraient jamais senties heureuses si elles n'avaient pas un mari et des enfants à présenter comme gages de leur réussite sociale. Avoir un mari et des enfants, c'est encore ce qui fait que, au Congo, une femme est respectée ou ne l'est pas. Et pour se conformer à ces attentes, elles sont prêtes à tout. 

L'histoire de Houyivane et des deux femmes de sa vie permet à l'auteur de parler de la société congolaise. Ce que j'ai apprécié, c'est que l'auteur lui-même n'accrédite pas ni ne déconstruit les thèses répandues dans cette société, il les présente simplement au lecteur, pour l'édifier sur les moeurs de ses compatriotes. Ainsi, beaucoup de questions sont soulevées : le recours aux pratiques occultes pour s'enrichir ou pour gagner l'amour ; la foi comme antidote aux nuisances mystiques, les rivalités entre femmes, la viabilité des familles recomposées, la pression de la famille, des coutumes, parfois rébarbatrices qu'il faut cependant respecter à la lettre si l'on ne veut pas subir des représailles... Ces coutumes sont parfois basées sur des croyances que l'on pourrait qualifier de superstitieuses. Et, sans se prononcer directement, le narrateur montre comment des réactions physiologiques sont parfois interprétées comme étant une manifestation de l'intervention des esprits. J'ai apprécié la manière subtile dont le narrateur raconte les faits. Le récit est d'ailleurs fait dans une langue limpide, agréable. 

Le seul regret, c'est peut-être la fin qui laisse le lecteur sur sa faim. Beaucoup de questions restent en suspens. Tout au long de la narration, on s'attend à un rebondissement qui fera tomber des nues tel ou tel autre personnage ; ou un événement qui va obliger les personnages à faire face à la tourmente. Je craignais par exemple la mort de Landou à l'hôpital pendant que Houyivane fête son anniversaire chez lui... Mais bon, il semble que cette intrigue autour de Houyivane ne soit qu'un prétexte pour parler d'une ville et d'une population que l'auteur connait très bien. Edouard Kali-Tchikati a écrit ce roman comme s'il répondait à une question muette du lecteur : "raconte-moi Ndjindji !" (Djindji est l'autre manière de désigner Pointe-Noire, la deuxième ville du Congo, après Brazzaville, la capitale).

 

Edouard Kali-Tchikati, Le mariage interdit, roman, L'Harmattan-Congo, 2013, 125 pages, 13.50 €.

 

Photo Kali Tchikati

 

Sur l'auteur (présentation en 4e de couverture)

Edouard Kali-Tchikati est né en 1955, à N'Yaya, dans le district de Hinda, tout près de Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. Il est marié et père de trois enfants.Ingénieur des eaux et forêts, spécialiste en aquaculture, il occupe actuellement le fonctions d directeur de l'aquaculture marine du Congo. Il est aussi pasteur dans une communauté évangélique de Brazzaville et auteur de plusieurs livres.

 

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Commentaires
K
Les jeunes filles dans ce roman croient vivre leur vie... et puis elles se rendent compte qu'elles n'ont fait que rêver cette vie, la réalité ou la vérité des choses est bien plus cruelle. <br /> <br /> Merci d'être passée par ici, Kinzy. <br /> <br /> Bisous.
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K
La réalité est illusoire et la vie rêvée n'est que songe.<br /> <br /> Qu'on se le dise !
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