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Valets des livres
20 août 2017

Du racisme français, d'Odile Tobner

Voici un livre que chaque français, ou plutôt chaque habitant de la France devrait lire, mais l'on sait que tout le monde ne lit pas, surtout des essais. Cependant tout le monde s'informe, par la télé, la radio, les journaux... Chacun se forge son opinion sur une question en écoutant les uns et les autres débattre dans les médias, et il est très facile, pour une majorité de voix penchant dans un sens, d'influer sur l'esprit du public, surtout lorsque, en face d'elles, il y en a si peu ou presque pas pour faire valoir un point de vue divergent. Si malgré tout quelques voix s'obstinent à faire entendre un son discordant, la machine médiatique se met tout de suite en place pour étrangler, pour étouffer ces voix. Les médias sont un puissant outil de formatage des esprits !

 

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Le livre d'Odile Tobner montre comment, depuis plusieurs siècles, les Français sont conditionnés pour réagir d'une certaine manière, pour minimiser certaines choses ou les voir autrement qu'elles ne sont. Ainsi, pour réapprendre à observer en toute objectivité, pour se débarasser du voile qui nous empêche de voir les choses telles qu'elles sont, il importe de lire le livre d'Odile Tobner. Celui-ci est savamment construit, l'auteure commence par planter le décor en évoquant les déclarations les plus récentes de personnalités médiatiques au moment de la publication du livre, en 2007 : celles d'Hélène Carrère d'Encausse, historienne académicienne, d'Alain Finkielkraut, agrégé de lettres modernes, de Georges Frêche, élu socialiste et président de région, de Pascal Sevran, producteur et animateur d'émissions télé, de Nicolas Sarkozy, président de la République. Cette introduction capte tout de suite l'intérêt du lecteur car il se sent concerné, il a forcément entendu l'une ou l'autre de ces déclarations et a suivi les remous qu'elles ont suscité dans les médias, qu'en a-t-il pensé ? Je lis ce livre dix ans après sa publication et d'autres exemples viennent confirmer l'état des lieux dressé par Odile Tobner.

Prenons celui de la plus haute personnalité du pays : Emmanuel Macron. Avant et après son élection. En février 2017, en visite en Algérie, Emmanuel Macron déclare que la colonisation n'est rien d'autre qu'un crime contre l'humanité et ne voilà-t-il pas qu'il provoque un soulèvement général ? Le candidat à l'élection présidentielle, soucieux de ne rien laisser entraver sa marche vers l'Elysée, dut apaiser les esprits d'une manière ou d'une autre. Si vous osez nommer les choses telles qu'elles sont, on vous taxe tout de suite de ne pas aimer la France, de la dénigrer, alors que vous énoncez simplement les choses telles qu'elles sont. "Cette repentance permanente est indigne", déclara entre autres le candidat François Fillon, en réaction à la déclaration d'Emmanuel Macron. Toutes ces réactions sont décryptées par Odile Tobner : "La propagande a exhumé le vieux mot de "repentance"pour noter d'infamie toute tentative de divulguer un ensemble de faits radicalement censurés." (p. 286)

C'est indigne de dire la vérité, au contraire il faut la maquiller en sorte de flatter l'égo national. Tout ce qui pourrait écorner l'image de la France doit être tu, ou alors présenté de telle manière que la gloire de la France ne soit pas ternie. Il faut d'ailleurs rappeler que quelques mois auparavant, Emmanuel Macron avait tenu des propos qui relativisaient plutôt le caractère criminel de la colonisation, en évoquant ses aspects ''positifs'' : "Il y a des éléments de civilisation et des éléments de barbarie". C'est un viel argument que de brandir la civilisation pour justifier la colonisation. Odile Tobner démontre très bien les mécanismes mis en place depuis des siècles pour se donner bonne conscience, or « Pas plus que celui de guerre juste, le droit de conquête ne mérite de longs discours, puisqu'il se réduit à un droit très simple : celui du plus fort. L'art de l'Europe a été d'enrober de dicours la réalité et, comme le dit superbement Pascal, "ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste." » (p. 61)

Après son élection, Emmanuel macron a provoqué un autre tollé en faisant du taux de natalité en Afrique l'un des principaux handicaps à son émergence. En lisant le livre d'Odile Tobner, on voit que cet argument non plus n'est pas nouveau et permet de masquer les véritables causes du sous-développement en Afrique. Pascal Sevran, longtemps avant l'actuel président de la République, avait déjà emprunté ce sentier. Mais Odile Tobner éclaire les lecteurs : si la forte natalité en Afrique est un problème, il ne l'est pas tant pour l'Afrique que pour l'Occident, qui craint de ne plus pouvoir manipuler le destin de ce continent à sa guise. L'augmentation de la population africaine est un danger pour les anciennes puissances coloniales. Après avoir montré combien l'Afrique doit légitimement se repeupler après les "désastres démographiques de la traite et de la colonisation'', Odile Tobner déclare :

"La faiblesse actuelle de l'Afrique devant l'accaparement de ses ressources par l'étranger vient en grande partie de la moindre résistance de pays très peu peuplés, faciles à subjuguer. La démographie des pays asiatiques, avant d'être maîtrisée par des gouvernements indépendants, leur a d'abord permis de contenir puis de chasser les colonisateurs. Si les Africains doivent prendre modèle sur la Chine, comme les y invitent prétentieusement Pascal Sevran et bien d'autres, c'est en veillant à être suffisamment nombreux pour lutter contre l'emprise de l'étranger." (p. 25)

Odile Tobner fait l'historique du racisme, depuis l'esclavage jusqu'à nos jours, arguments et exemples à l'appui. Cet historique va de pair avec l'histoire littéraire. Les auteurs sont convoqués, leurs textes analysés pour déconstruire les idées reçues. Et c'est l'un des points forts de cet essai que de montrer les écrivains et leurs textes sous leur vrai jour. L'exemple le plus éloquent est celui de Montesquieu. Et là je remercie infiniment Odile Tobner pour ce livre.

En effet, moi aussi je me suis posée des questions concernant l'interprétation de l'extrait de L'Esprit des lois sur "l'esclavage des nègres". La lecture de cet extrait suscitait en moi un certain malaise né de l'idée qu'il y aurait peut-être un fond raciste dans les propos de Montesquieu, mais cela se pouvait-il qu'un auteur présenté comme l'un des esprits les plus éclairés de son temps ait tenu des propos racistes ? Logiquement, cela ne se pouvait, alors je me conformais à la lecture générale, qui voulait que ce texte soit vu comme étant ironique. N'ayant lu que des extraits de l'oeuvre de Montesquieu, il ne m'était pas possible de me faire ma propre idée, alors il fallait humblement accepter l'orientation qui était donnée dans les manuels. Odile Tobner, elle, a pris le temps de lire Montequieu et de replacer ce chapitre dans l'ensemble de son oeuvre, de confronter celle-ci avec la lecture qu'en ont fait les contemporains de l'auteur de L'Esprit des lois. Le verdict est clair : il n'y a pas l'ombre d'une ironie dans ce texte : Montesquieu dit ce qu'il pense.  

Ce livre permet véritablement de reconsidérer les écrivains français ainsi que leurs oeuvres, ceux qui ont su faire preuve d'un admirable sens critique, comme Montaigne, Pascal, Sartre... et ceux qui ont participé à la construction des préjugés, comme Montesquieu, Voltaire, Bossuet... sans parler des philosophes (Kant, Hegel), des historiens, des hommes politiques. Les professeurs de Lettres, d'Histoire, de Philosophie auraient intérêt à lire ce livre !

Chers professeurs de lettres, voici un extrait qui vous convaincra de lire Tobner :

"Comme professeur de lettres, j'ai été confrontée au dogme de l'interprétation ironique du texte de Montesquieu lorsque j'ai dû l'expliquer. Sauf à répéter le commentaire du Lagarde et Michard, je ne voyais pas ce que l'on pouvait trouver comme signe évident d'ironie dans le texte. Après quelques années de méditations là-dessus, ma conviction était faite. On n'avait pas affaire à un texte ironique. Au cours d'une session de formation pédagogique, je fis part de ma conviction à une assemblée de collègues, déchaînant les plus vives protestations. Le cri du coeur fut : "Mais voyons, tout le monde sait que ce texte est ironique !"Je trouvai la démonstration un peu courte mais je n'eus pas le loisir d'affronter plus avant l'écrasante réprobation de la totalité de mes collègues. La question était entendue, inutile de discuter. Je m'abstins désormais à tout jamais d'expliquer ce texte. J'interrogeais cependant les candidats au bac qui l'avaient sur leur liste de textes étudiés pour voir comment ils répétaient ce qu'on leur avait enseigné. C'était une fois de plus la tautologie : ce texte est ironique parce que ce texte est ironique." (p. 256)  

 

 

Odile Tobner, Du racisme français, quatre siècles de négrophobie, Paris, Editions des Arènes, 304 pages, 19.80 €. 

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Commentaires
L
Bonjour Panetius. Je peux tout à fait concevoir que vous n'ayez pas été convaincu par l'argumentation de Mme Tobner, c'est votre droit, personne ne peut vous le contester. De la même manière, d'autres ont le droit d'accueillir positivement sa thèse, parce qu'elle a le mérite d'apporter un autre son de cloche et de susciter la réflexion, le débat. Cela ne fait pas d'eux des "ignorants" ou des personnes d'une intelligence limitée. Voyez-vous, c'est ce qui me gêne dans votre commentaire : tout de suite vous décrétez que la thèse de Mme Tobner est "absurde". S'il faut résumer le propos qu'elle développe dans son livre, c'est que la France ait été raciste. Réfuteriez-vous que la France ait pratiqué l'esclavage et la colonisation ? Combien de pays européens ne les ont-ils pas pratiqués ? Le "code noir" ne fut-il pas édité par le grand Louis XIV ? Allons-y : aucun esclavagiste n'était raciste, il fallait simplement "sauver les Noirs de l'anthropophagie", il fallait ''sauver leur âme"" en leur apportant le salut par la ''vraie'' religion", la France n'a jamais été raciste, elle a au contraire fait une oeuvre humanitaire en apportant la civilisation à des peuples qui seraient demeurés dans la barbarie et l'ignorance...<br /> <br /> Revenons à Montesquieu. Votre qualificatif de "absurde" concernant la thèse selon laquelle Montesquieu serait raciste révèle à mon sens que vous ne concevez pas qu'un aussi illustre nom de notre littérature puisse souffrir du moindre reproche pouvant écorner son image. On peut être un écrivain talentueux et célèbre et ne pas être forcément moralement irréprochable sur tous les plans. Tiens, cela me fait penser à Louis-Ferdinand Céline. Nombreux refusent la thèse de son antisémitisme. Ils préfèrent avancer l'idée que cet antisémitisme ne doit pas être pris au sérieux. Vous reprocheriez sans doute à ceux qui montrent Céline sous un autre jour (peu glorieux) de proférer des propos "absurdes" ? <br /> <br /> La lecture de Mme Tobner ne m'a pas donné, contrairement à vous, une impression de "vaste ignorance". Au contraire, elle a suscité en moi le désir d'avoir une connaissance personnelle de ces auteurs, elle pousse à ne pas se contenter des présentations des manuels. Cela aussi est indéniable : de nombreux enseignants se forgent leur connaissance en s'appuyant uniquement sur les manuels (il est vrai que l'on n'a pas forcément le temps de tout lire), il est donc tout à fait concevable que ceux qui se sont abreuvés à la même source ait une même lecture des choses (celle découlant de ces manuels) ; et si une autre lecture est avancée, plutôt que de jeter l'anathème sur la personne qui propose cette nouvelle/autre lecture, il faut au contraire considérer que c'est un sujet à creuser. C'est grâce à la confrontation d'idées que l'humanité a pu progresser. Or les articles auxquels vous me renvoyez, le premier surtout, témoignent comme vous du même caractère réfractaire à toute opinion contraire. Un titre comme "La bêtise noire de Mme Tobner" ne trahit pas une bonne disposition à l'esprit critique, au contraire elle dit sur la personnalité de l'auteur de l'article des choses qui ne me poussent pas, moi, à considérer cette personne comme étant objective et convaincante, puisque son premier argument est l'insulte. <br /> <br /> Je termine par un autre exemple, en plus de celui de Céline. Vous connaissez sans doute le célèbre roman "Au Coeur de Ténèbres" de Joseph Conrad, qui passe depuis sa publication (1899) comme un plaidoyer contre la colonisation. Eh bien l'écrivain nigérian Chinua Achebe a relevé un fond raciste dans cette oeuvre (première voix discordante depuis des lustres). Les lecteurs aux idées arrêtées par les innombrables recensions, analyses et commentaires de ce célèbre roman lui rétorqueraient sans doute "Mais quelle idée ''absurde'', vous avez mal lu ce roman, vous faites preuve d'une ''bêtise noire'' ou d'une ''vaste ignorance''. Mais les chercheurs, c'est-à-dire les personnes curieuses des différents angles de vue sous lesquels on peut présenter une oeuvre estiment qu'il est de leur devoir de relayer cette information. Grâce à eux (je cite par exemple les universitaires Jean-Marc Moura et Xavier Garnier qui font référence à cette autre perception du livre de Conrad dans leurs travaux), j'ai découvert cette nouvelle lecture du roman de Conrad. En publiant mon article sur le livre de Mme Tobner, j'ai également fait oeuvre de passeur de d'information, espérant que cette confrontation d'opinions ne pourra être que salutaire à toute personne soucieuse d'enrichir ses sources d'information.
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P
Bonjour. Pour être convaincu par les assertions de Mme Tobner sur le texte de Montesquieu, il faut être à la fois totalement fermé à l'ironie, et ne pas connaître grand-chose à l'auteur des /Lettres persanes/. Aucun spécialiste de Montesquieu (partisan du droit naturel) n'a et ne peut valider la thèse absurde selon laquelle il approuvait l'esclavage. Personne n'a compris le texte ainsi, contrairement à ce qu'affirme Mme Tobner (qui prétend que l'interprétation ironiste date de Lagarde et Michard, alors qu'il y a des dizaines d'exemples bien antérieurs), et cela seul prouve sa vaste ignorance.<br /> <br /> Puisque vous invitez les professeurs de lettres (ce que je suis) à lire le livre de Mme Tobner (ce que j'ai fait), je vous invite en retour à lire ce texte : http://rene.pommier.free.fr/Tobner.htm Le ton est un peu virulent, mais R. Pommier s'appuie sur des connaissances qui font singulièrement défaut à Mme Tobner, il cite quantité de textes pour étayer ses propos (ce que ne fait pas O.T.), et sa démonstration est irréfutable. On peut compléter ce texte par cette recension : https://www.academieoutremer.fr/images/files/Defense-Montesquieu-(59_894)(2).pdf<br /> <br /> On peut aussi lire /Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine/ par Tzvetan Todorov (disponible en poche Points Seuil) : Todorov est sévère avec maints de nos auteurs, soit parce qu'ils sont racistes, soit au contraire parce qu'ils sont trop différentialistes, donc pas assez universalistes (ainsi Loti et Segalen), mais il approuve grandement Montesquieu, auquel il consacre le dernier chapitre, et qui lui paraît le plus équilibré, le plus sage des auteurs qu'il étudie. Et ayant lu l'ensemble de l'oeuvre de Montesquieu, pas seulement quelques pages comme Mme Tobner (on se demande si elle a jamais ouvert les /Lettres persanes/), il ne peut évidemment donner dans ce contresens effarant. Passe encore que tout le monde ne fasse pas l'effort d'une sérieuse documentation, mais il est triste qu'aujourd'hui l'ironie de Montesquieu soit devenue trop subtile pour beaucoup de lecteurs. Cordialement.
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P
Liss,<br /> <br /> Je ne sais pas ce qui se passe au point de vue de l'enseignement. <br /> <br /> Seulement je constate que certains emploient le mot "Résilience" à tout bout de champs pour taire les consciences de ceux qui s'éveillent.<br /> <br /> Une mode sans doute, mais l'histoire avance à grands pas.
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K
Merci pour le lien, Raphaël, je vois que la mobilisation sur la question de l'enseignement de l'histoire est commencée...
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S
Crois-moi que concernant L'esprit des lois, tu n'auras besoin de le lire en entier pour avoir toutes les informations dont tu as besoin sur l'esclavage et les peuples étrangers. <br /> <br /> <br /> <br /> Concernant les Vendéens, c'est depuis 3 ou 4 ans seulement que j'ai découvert ce dont tu parles à Nantes, lors de la visite du Château des ducs de Bretagne.C'était l'année où presque tout le château était dédié à l'histoire de l'esclavage. C'est à peine croyable dans un même pays l'on puisse se comporter de la sorte contre un autre groupe de population.<br /> <br /> <br /> <br /> Je suis très reconnaissant à tous ceux qui prennent le temps de ressortir les textes des archives et de les analyser au regard d'une raison débarrassée de tout désir de satisfaire l'intérêt national.<br /> <br /> <br /> <br /> Voici un lien vers un texte sur les manuels scolaires et l'enseignement scolaire : http://aggiornamento.hypotheses.org/
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