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Valets des livres
4 février 2018

Les cœurs insulaires, de Rosy Bazile.

Marielle Cazalet est une jeune artiste peintre qui est née et a grandi aux Etats-Unis. Elle n'a pas encore 30 ans que déjà l'écho de son talent a franchi les frontières internationales. Ses parents, Anna Dupré Cazalet et Henry Cazalet, sont natifs de St Peters, une île où "le mélange de créole, d'anglais et de français" teinte les conversations. Cette île se caractérise par une culture riche consécutive à l'histoire de l'île, caractérisée par le métissage ; une culture que, malgré l'éloignement de la terre natale, Anna a pris le soin de transmettre à sa fille sur le sol américain. Elle l'a instruite des "mystères de sa culture", elle lui a raconté les "images et légendes" de ce "coin de terre bordé d'eau de tous côtés", si bien que Marielle ne se sent pas complètement étrangère lorsqu'elle foule, pour la première fois, la terre natale de ses parents, pour les obsèques de sa mère. 

 

COUVERTURE Coeurs insulaires de Rosy Bazile 001

 

En effet, Anna, se sachant malade, est revenue vivre à St Peters avec son mari, Henry Cazalet. On ne sait pas exactement quelle est la maladie qui la ronge, on sait seulement que celle-ci la conduit inexorablement au seuil de la mort. C'est cette raison de force majeure qui permet aux Cazalet de renouer avec leur pays. Et pour Marielle, c'est non seulement l'occasion de faire connaissance avec une grande famille, c'est surtout le moment pour elle d'en savoir un peu plus sur tout ce pan de sa vie qu'elle ignore : pourquoi a-t-elle été tenue éloignée de St-Peters ? Quelles furent les circonstances de sa naissance ? Elle sait que Henry Cazalet n'est pas son père biologique. Ce dernier avait-il refusé de la reconnaître comme sa fille ? A-t-il renoncé à elle ? à sa mère Anna ? Est-il mort ? Vit-il à St-Peters ? Est-il au courant de son existence ? Autant de questions qu'elle n'a jamais manifesté un empressement à élucider, étant donné qu'elle a grandi dans l'amour de ses deux parents et qu'elle n'a manqué de rien, mais à présent que sa mère est décédée, elle entend avoir des réponses à ses questions.

Rosy Bazile nous entraîne dans ce roman au coeur des secrets de famille. Et on voit combien les secrets, comme une planche qu'on s'acharne à maintenir sous l'eau, finissent toujours par remonter à la surface. Les secrets ne sont des secrets que parce qu'un jour ils finissent par éclater au grand jour, surtout quand ils sont la conséquence de manigances de personnes qui croient avoir la main-mise sur le cours de l'histoire et sur la destinée de ceux qu'ils croient contrôler. Mais l'histoire se charge de rappeler à chacun que nous ne sommes que des hommes et pas des dieux. 

Le roman est construit tel que les chapitres se croisent, mettant en regard le présent de la fille, Marielle, avec le passé de la mère, Anna. Elles vivent des histoires d'amour (et de haine) qui mettent en relief l'histoire de l'île, étranglée entre un passé colonial et un présent sur lequel pèsent les préjugés, complexes et inégalités issus de ce passé. L'amour seul permet de dépasser ces cloisons et de changer le regard que l'on porte les uns sur les autres. 

"Une partie de la population blanche et mulâtre de ce pays se refuse d'appartenir au même genre que le reste des habitants. Ils veulent désespérément appartenir à la France, la Hollande ou l'Angleterre. Ils vont jusqu'à s'inventer des ancêtres et des particules. Cette folie a diminué en ampleur depuis quelques décennies, mais les ravages perdurent encore." (p. 245)

En lisant ce roman, je n'ai pu m'empêcher de penser à la série qui passe en ce moment sur France Ô, "La esclava blanca" ou "L'Esclave blanche", le mardi soir, et que l'on peut revoir en intégralité sur le site 6play.fr. La mère de Richard Courtois, Alida, dans le roman Les coeurs insulaires, partage avec la mère du maître de l'Eden, dans la série, cette sainte horreur pour le sang noir qu'elles ne veulent absolument pas voir entacher leur arbre généalogique, mais qui pourtant en fait partie, malgré elles. Dans le film comme dans le livre, on s'arrange pour conserver des privilèges qui ont été usurpés, mais le destin se charge de mettre chacun en face de ses actes, en face de la réalité, et de rétablir tant soit peu l'équilibre de la balance. 

 

Rosy Bazile, Les coeurs insulaires, Vérone éditions, Paris, 2017, 318 pages, 21 €.

 

 

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Commentaires
S
Moi qui ne regarde guère la télé depuis des années (4 ou 5 fois par an !!), je vais être obligé d'être attentif à la programmation de France Ô. L'Amérique du sud, et plus particulièrement le Brésil, a beaucoup à nous apprendre sur l'esclavage, son impact sur les sociétés où les descendants des colons et ceux des esclaves partagent le même espace géographique.<br /> <br /> J'ai lu dans le programme d'Afrik'aucoeur que tu seras dans l'Yonne à la rentrée prochaine ! Un événement !
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K
Cher St-Ralph, je me suis laissée reprendre à regarder des séries, mais c'est parce que ceux-ci avaient un lien avec l'histoire de l'humanité ! J'ai été surprise d'entendre ma fille de huit ans me dire "tu regardes beaucoup les films sur l'esclavage, maman". Qu'est-ce qu'ils sont observateurs et pertinents, nos enfants ! En effet, outre la série "L'Esclave blanche", j'ai regardé "Les couleurs de la liberté" toujours sur la même chaîne (France Ô), il y a quelques mois : l'intrigue se passe au Brésil, peu après l'abolition de l'esclavage, mais une majeure partie de la population blanche a du mal à accepter cet état des choses. Une série que tu aurais sans aucun doute appréciée. <br /> <br /> Rosy Bazile prend le prétexte de la romance pour parler de l'histoire de son île et des rapports entre les hommes, entre les classes ; pour secouer l'arbre bien enraciné des inégalités sociales.
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S
Merci pour ton analyse du livre, surtout la dernière partie avec le passage cité. Merci aussi pour le renvoi à la série "Esclava blanca" que je ne connaissais pas. Je le regarderai sur le site que tu indiques ici. "La mancha" (la tache !) que redoute les Blancs des Amériques et des Caraïbes est très marquée dans certains pays comme le Brésil et plus sûrement encore dans les petites îles. Merci pour ce billet qui donne envie de lire cette auteure. Le sujet m'intéresse.
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