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Valets des livres
1 décembre 2018

Dix femmes écrivaines du Bénin

     Les initiatives féminines se multiplient sur la scène littéraire africaine. Après Les lyres de l’Ogooue, recueil de nouvelles publié en 2012 aux Editions Jets d’encre et réunissant dix écrivaines du Gabon ; Sirène des Sables, anthologie de nouvelles parue en 2014 aux Editions L’Harmattan, qui a connu la participation de onze femmes du Congo-Brazzaville, des écrivaines du Bénin se lancent dans une aventure collective. Elles publient, chez Les Impliqués Editeur, un livre intitulé tout simplement Dix femmes écrivaines du Bénin. Comme l’indique le sous-titre du recueil, ces écrivaines du Bénin nous proposent des histoires de famille, qui invitent le lecteur à s’interroger sur la différence, que ce soit la différence biologique ou la différence de classe sociale, les relations de couple, le deuil, l’immigration, la démission des parents…

 

COUV Dix écrivaines du Bénin 001

 

     Les écrivaines que l’on découvre dans ce recueil sont des femmes très actives du point de vue littéraire et culturel. Faire connaître les écrits des auteurs béninois, inciter la jeunesse béninoise à s’intéresser à la littérature, préparer en particulier les jeunes filles à intégrer le fait que la littérature n’est pas un terrain exclusivement masculin… Tels sont les objectifs qu’elles se donnent à travers les différentes actions qu’elles mènent sur le terrain, et qui connaissent un succès tel qu’il est perceptible de l’extérieur du Bénin. Ces femmes peuvent être considérées comme des pionnières qui donnent l’exemple aux générations suivantes.  

     Nos écrivaines parlent de la cellule familiale, avec tous les membres qui la constituent bien sûr, mais la femme apparaît tout de même, d’une manière ou d’une autre, comme le personnage principal dans l’ensemble des nouvelles, une femme qui se bat pour obtenir ce qu’elle veut, une femme qui veut s’affirmer, qui peut aussi vouloir céder à ses pulsions. Qui a dit que les femmes n’avaient pas de désirs ? Pourquoi le désir serait-il essentiellement masculin ?

     J’ai bien aimé la première nouvelle, « Illusion dermique », de Sophie Adonon, pour la gravité du sujet abordé : le refus de la différence pousse toute une communauté à être, pas simplement discriminante, mais carrément criminelle !

     La seconde, « Secret de famille », de Harmonie Byll Catarya, révèle cette douleur commune à toutes les femmes du monde lorsqu’elles découvrent la ‘‘double vie’’ de leur mari ou conjoint.

     Eliane Chegnimonhan fait un double portrait de femmes dans « L’Amour d’une grand-mère » : de deux sœurs, l’une est mythomane, l’autre raisonnable, posée.

     Lhys Degla, dans sa nouvelle « Sunday », nous met dans la peau d’un petit enfant conscient du drame qui se joue devant ses yeux innocents.

     Dans « Ces paroles douces qui apaisent mon coeur », Adélaïde Fassinou aborde la question du deuil : comment surmonter l’absence de l’être cher (la mère) ? Peut-être en continuant de discuter avec lui comme de son vivant.

     J’ai aussi bien aimé l’« Assanhoun conjugal » de Myrtille Akofa Haho pour sa chute : un polygame fier de l’être devient un monogame heureux.

     Elena Miro K nous parle du désir féminin avec son titre « La Caresse d'un regard ».

     Le lecteur appréciera la poésie de la nouvelle de Carmen Fifame Toudonou, « Le Fausset ».

     Sœur Henriette Goussikindey clôt le recueil avec « Ensemble », Extrait de texte dans lequel elle  assimile le travail d’un artiste au ''travail'' de la parturiente.

     J’ai cependant une préférence pour « Une dispute de trop », d’Anaïs Aho et « Sœur riche, sœur pauvre » de Gisèle Ayaba Totin.

     La première résume bien les problématiques auxquelles la femme doit faire face : comment satisfaire ses ambitions professionnelles tout en ménageant la vie de famille ? La réussite de la femme doit-elle être perçue comme une menace pour l’homme ? Comment être mère de famille et efficace sur le terrain professionnel ? La touche fantastique permet à l’auteur d’aborder ces questions universelles d’une manière originale.

     « Soeur riche, sœur pauvre » se distingue par la qualité de sa construction. Dans l’espace concis qu’est la nouvelle, et à travers une intrigue qui captive le lecteur, Gisèle Totin réussit à mettre en regard différentes thématiques (banlieue parisienne et précarité, éducation des enfants, famille recomposée, complexes autour du physique, rivalités entre sœurs, création d’entreprise, snobisme…) qui, prises individuellement, forment un sujet à part entière, mais que l’auteur rassemble de manière à produire, en arrière-plan, une musique qui a pour effet de dramatiser les actions qui se jouent au premier-plan. On est comme au cinéma avec les accompagnements musicaux qui indiquent le ton de la scène…

 

     Au terme de la lecture de ce livre, qui nous introduit dans l’intimité des familles, on s’interroge sur la famille. Celles que nous avons découvertes, mais aussi notre famille à nous, lecteurs. Famille solide ou fragile ? Une famille peut paraître un roc et s’effriter comme un château de sable, quand souffle le vent de l’adversité, du soupçon, de la délation, de la misère, etc.

     Sophie Adonon, Harmonie Byll Catarya, Anaïs Aho, Eliane Chegnimonhan, Lhys Degla, Adelaïde Fassinou, Myrtille Akofa Haho, Elena Miro K, Gisèle Totin, Carmen Fifame Toudonou et Sœur Henriette Goussikindey  nous font prendre conscience de la fragilité des relations humaines, la fragilité de l’existence. Tout peut changer du jour au lendemain, alors profitons de chaque jour qui nous est donné près de ceux que nous aimons. N’attendons pas demain pour mener à bien nos projets. Demain, il sera peut-être trop tard. Le fil de notre vie peut se briser au moment où l’on ne s’y attend pas. 

 

Extraits de "Une dispute de trop", d'Anaïs AHO

 

"Mon ascension dans le domaine professionnel était loin de faire plaisir à mon homme. Et c'était justement cela qui était la cause de nos fréquentes disputes.

Il était avocat comme moi, mais ne travaillait pas encore. Sa situation financière était un handicap pour lui. Etant donné que je rapportais actuellement plus d'argent que lui à la maison, il avait progressiement développé un complexe d'infériorité qui n'avait pas lieu d'être d'après moi. Sans oublier sa jalousie maladie qui surgissait dans toutes les situations de notre vie courante. Il pensait à tort que j'essayais de jouer le rôle d'homme à sa place. Alors que tout ce que je voulais, c'était d'apporter une stabilité financière à notre foyer sans qu'on n'éprouve le besoin d'aller emprunter à droite et à gauche." (p. 48)

 

"William ne voulait pas se gêner dans la vie. Il était partisan du moindre effort et cela m'horripilait. Il aimait laisser la vie le balloter de droite à gauche alors que de mon côté, j'aimais aller au-devant des opportunités. Avec beaucoup de difficultés, j'avais fini par accepter qu'il soit de la trempe des hommes qui n'aimaient pas trop "se démerder" dans la vie. Mais qu'il tente de m'empêcher de poursuivre mes rêves était une chose que je ne pouvais pas accepter. Je voulais d'un homme qui soit prêt à me motiver, à me pousser à avancer toutes les fois où le besoin se faisait sentir... Un homme capable de gérer son égo en comprenant que mon évolution dans ma vie professionnelle était un bienfait pour notre couple. J'avais besoin d'un homme capable de m'aider à élever nos enfants." (p. 50)

 

 

Dix Femmes écrivaines du Bénin, Histoires de famille, Sous la direction de Gisèle Ayaba Totin, Paris, Les Impliqués Editeur, 2018, 17 €.

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Commentaires
K
Bienvenue sur ce blog, Francis Lokossa, on peut en effet estimer qu'il y a répétition en rajoutant "femmes" en plus du mot "écrivaines" qui est déjà au féminin, à moins de garder "écrivains" au masculin et de rajouter "femmes", ce qui donnerait "Dix écrivaines du Bénin" ou "Dix femmes écrivains du Bénin", mais va-t-on s'arrêter à l'enveloppe, c'est-à-dire au titre ? J'aurais davantage apprécié que vous réagissiez sur le contenu...
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F
Dix femmes écrivains, n,est ce pas plus élégant?
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