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Valets des livres
20 janvier 2019

La Rue Cases-Nègres, de Joseph Zobel, scrutée par des élèves de 4e

Lorsque, l'été dernier, je préparais les lectures à proposer aux élèves cette année, j'ai fait des découvertes, si bien que, pour la séquence consacrée à l'étude de la confrontation des valeurs, j'ai hésité entre plusieurs oeuvres. Finalement, j'ai proposé les deux romans entre lesquels j'hésitais, et aussi La Controverse de Valladolid, qui montre comment on est passé de l'esclavage des Indiens à celui des Noirs, comment l'Eglise a en quelque sorte officialisé la traite et l'esclavage des Noirs, de sorte qu'ils s'amplifièrent de manière spectaculaire et se poursuivirent sur plusieurs siècles. Nous avons étudié La Controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière en classe. Et chez eux ils devaient lire Coeur noir, de Joyce Pool, un roman pour la jeunesse facile à lire et qui sensibilise bien les jeunes aux réalités de l'esclavage. J'ai publié, après ma lecture,  un article que l'on peut lire ici.

 

Photo livre et film Rue Cases Nègres

 

Tous ceux qui le souhaitaient pouvaient en plus lire La Rue Cases-Nègres, de Joseph Zobel, ce qui leur rapporterait des points supplémentaires (des points bonus). Il n'en fallait pas plus pour motiver les élèves, car sur un effectif de 22 élèves, ils étaient 16 à avoir décidé de lire ce roman magistral, qui ne relève pas de la littérature de jeunesse, qui nécessite au contraire d'être plutôt "armé" littérairement pour comprendre et apprécier ce livre. 

La première partie du roman, dans laquelle José raconte ses journées à la rue Cases-Nègres, ses parties de jeux mais aussi ses bêtises d'enfant avec ses petits camarades, a été particulièrement appréciée. Disons plutôt que les élèves ont été plus sensibles à cette première partie car les héros sont des enfants et leurs bêtises ont sans doute rappelé dans leur esprit des souvenirs personnels.

Mais ensuite leur intérêt s'est amenuisé : ils ont pour la plupart trouvé le reste long à lire, alors que c'est là que résidait toute la substance du livre, le moment où José, qui est plus âgé, commence à réfléchir sur la condition des Noirs, sur la différence qu'il y a entre un enfant de riche et un enfant de pauvre quelle que soit la couleur de sa peau. Sa scolarité, et toutes les épreuves qu'il a dû subir, les difficultés que sa grand-mère, sa mère et lui-même ont dû surmonter pour atteindre l'objectif visé, ces pages sont d'une qualité exceptionnelle. Mais il fallait avoir une certaine maturité de lecture pour goûter à ces pages, et je me réjouis de ce que certains élèves, dans le lot, se sont distingués comme de fins lecteurs. Quel plaisir de voir que de jeunes lecteurs ont bien compris le projet de Josep Zobel dans ce roman que l'on peut qualifier d'autobiographique, et qu'ils peuvent en parler, non seulement avec justesse, mais aussi avec émotion ! 

En corrigeant les copies, on s'aperçoit tout de suite qu'il y a ceux qui ont compris, et ceux qui n'ont pas très bien compris ou qui sont restés parfois à la surface. Par exemple à la question "Que pensez-vous de la manière dont m'man Tine a élevé son petit-fils ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur des exemples précis", un grand nombre d'élèves s'est arrêté à la sévérité de m'amn Tine : "Elle l'élève de manière un peu cruelle" ; il y en a même un qui va jusqu'à affirmer qu'elle l'élève "sans amour", parce qu'elle le frappe et l'embrasse rarement. Il y en a, comme L., qui ont nuancé leurs propos et qui, à côté de la sévérité de M'man Tine, ont aussi perçu les sacrifices qu'elle a fait pour José :

"M'man Tine peut être stricte envers José comme par exemple le jour où il a cassé le bol, sa grand-mère l'a obligé à se mettre à genoux, il saignait. Mais elle peut être gentille comme par exemple quand il s'enfuit chez Mme Léonce et qu'il ne mange pas, elle va déménager (pour régler le problème). Elle a eu une enfance difficile car elle travaillait depuis toute petite, elle s'est fait violer par M. Valbrun ; sa fille, Délia, à partir de 12 ans, va à l'école et vécut chez Mme Léonce, elle veut faire pareil pour José."

 

Rue Cases Nègres LUCIE 002 (2)

 

C'était bien argumenté. Mais ceux qui m'ont le plus fait plaisir, ce sont ces deux élèves, A. et Z., qui depuis le début de l'année me surprennent agréablement par la finesse de leur analyse quand il s'agit de textes littéraires à étudier.

Z. : "M'man Tine a très bien élevé son (petit) fils car elle l'a toujours empêché de rejoindre les petites bandes, elle a tout fait pour qu'il aille à l'école, elle lui a appris à ne pas voler ou demander de l'argent aux gens. Elle le protégeait dans les plantationsn du froid, du chaud et de la pluie. Elle sacrifiait parfois ses repas de la plantation pour lui."

Z. a perçu tous ces détails qui montrent que M'man Tine n'était pas "sans amour", comme l'a affirmé R., elle était au contraire remplie d'amour pour son petit-fils : elle rêve pour lui d'un autre avenir que de connaître la dure et ingrate tâche de travailleur dans les plantations. Les sévérités n'étaient pas de la méchanceté, mais sa manière de lui transmettre des valeurs ; elles n'ont même pas besoin d'être mentionnées, car elles sont si légère comparées au poids des sacrifices consentis par M'man Tine pour préserver José et l'inciter à réussir à l'école pour avoir la chance de connaître un autre destin que celui qui semblait déjà tout tracé pour un jeune Noir à cette époque, en Martinique.

C'est aussi ce que traduit la réponse de A. : "Pour moi, M'man Tine a très bien élevé son (petit) fils, puisqu'elle va même déménager à Petit-Bourg pour que José puisse aller à l'école, elle ne voulait pas que José vienne dans les champs avec elle après l'incendie, et elle faisait tout pour que José soit instruit, qu'il ne vive pas la même vie qu'elle."

 

Les élèves devaient commencer par faire un résumé du roman, et puis, parmi les questions, il y avait celle-ci qui donne la liberté à l'élève de s'exprimer sur le livre, selon ses impressions : "Avez-vous aimé lire ce roman ? Qu'est-ce qui vous a déplu ? Bref faites le bilan de votre lecture en souligant les points positifs et les points négatifs."

 

Rue Cases Nègres ZOE 003 (2)

 

Réponse de Z. : "J'ai vraiment aimé ce roman, ce qui m'a déplu, c'est qu'à la fin José ne peut pas aider sa grand-mère. Et en plus, les Noires sont vraiment en mauvaise condition alors que les Békés, eux, sont tout puissants. C'est bien que Jojo se soit échappé, et que José ait réussi son Bac, mais c'est dommage que M. Médouze et M'man Tine soient morts au travail. C'est nul qu'il y ait autant d'inégalités entre les Noir(e)s de plantation et les Noir(e)s riches. Les anciens camarades de José sont partis dans les petites bandes, leurs parents n'ont pas suivi l'exemple de M'man Tine, c'est nul."

Réponse de A. : "Ma lecture a été plutôt bonne. J'ai bien aimé lire ce roman, ce qui m'a déplu le plus, c'est les conditions de vie des habitants de la rue Cases-Nègres, M. Médouze qui meurt à cause du travail,  la pauvreté qui y règne, les parents comme par exemple M'man Tine qui n'arrive pas à nourrir correctement son petit-fils. Les points positifs de l'histoire de ce livre sont que même dans cette pauvreté les enfants arrivent à jouer et à s'amuser, avec toutes les galères que José a connues, il réussit à avoir son Bac. Et les points négatifs, c'est surtout la domination qu'ont les Européens, les Français, sur la population martiniquaise, l'inégalité, et même avec tout ce que les Noirs travaillaient, ils sont payés pas comme il faut."

Rue Cases Nègres ALAN 002 (2)

 

Réponse de V. : "Pour moi, ce livre est très pertinent, car cela parle d'une (esclave) qui travaille dur pour que son petit-fils sorte de la plantation et qu'il aille à l'école. C'est une dame très forte car elle a réussi à sortir sa fille et son petit-fils de la misère. J'ai adoré lire ce roman car c'est une vraie preuve d'amour."

 

Rue Cases Nègres VICTOIRE 003 (2)

 

Question : Comparez la Rue Cases-Nègres à la Route Didier : quelles remarques pertinentes pouvez-vous faire ?

Réponse sommaire de S. : "A la rue Cases-Nègres, il y a plus de Noirs qu'à la Route Didier où il a principalement es Blancs."

Réponse satisfaisante de A.M. : "A la rue Cases-Nègres les habitants sont pauvres, ils travaillent dans les champs de cannes à sucre et il n'y a des des Nègres, tandis qu'à la Route Didier les habitants sont principalement des Blancs possédant des voitures de luce."

 

Rues Cases Nègres AI MY 001 (2)

 

Réponses nourries, argumentées, pertinentes de Z. et A. :

Z. : La Rue Cases-Nègres est peuplée de Noirs qui doivent se tuer au travail et qui galèrent, qui ont des maisons déplorables avec une ou deux pièces.. Alors que la Route Didier est peuplée de Békés riches, puissants, avec de belles villas et des employés de ménage. Il y a aussi des Noires qui adulent les Blancs et qui sont fiers d'êtres leurs "esclaves". On peut remarquer qu'il y a vraiment une différence entre ceux qui dominent : les Blancs, et ceux qui servent : les Nègres.

A. : La Rue Cases-Nègres est une rue plutôt pauvre, avec des cases en paille et en bois, où vivent les Noirs, une route qui mène aux champs, où les enfants s'amusent quand leurs parents vont aux champs ; il y a des cris, beaucoup d'enfants de cette rue ne vont pas à l'école, ou n'ont même pas les moyens; ils vivent une vie misérable et sont pauvres, ils sont entre eux, et c'est des Noirs.

      La Route Didier est une route où règne la propreté, une route avec beaucoup de belles maisons, des villas, et une population plutôt blanche (Békés), avec des emplois qu'on ne voit pas à la Rue Cases-Nègres : gardiens, voituriers ; les enfants qui vont à l'école, qui sont intelligents, instruits, une route calme, une population plutôt aisée y vit. M'man Delia et José le disent eux-mêmes : la Route Didier est l'opposé de la Rue Cases-Nègres. La population n'est pas la même et n'a pas les mêmes moyens. La Route Didier est une route dans la capitale."

Rue Cases Nègres ALAN 001 (2)

Au retour des vacances de Noël, toute la classe a regardé le film réalisé par Euzhan Palcy. Ceux qui avaient lu le livre avaient principalement à relever les changements effectués par la réalisatrice (trouver les différences entre le livre et le film) et à dire s'ils avaient préféré le livre ou bien le film. 

 

Réponses honnêtes de A.M. et L. :

A.M. : "Malgré les changements eeffectués par la réalisatrice, je préfère le film car avec des images j'arrive mieux à m'intégrer dans l'histoire. Je trouve que c'est moins long, la durée du film, que le temps de lire et je trouve que lire est un peu ennuyant que de regarder le film.

L. : "J'ai préféré le film car j'ai ressenti plus d'émotions en voyant la situation des Nègres à l'époque. Par contre j'aurai aimé qu'il y ait moins de différences entre le livre et le film ; que la mère de José soit vivante... Il y a eu des passages drôles et d'autres marquants. En voyant le film, j'ai mieux compris la vie des Nègres dans les champs de canne.

Réponse nuancée de R. : "Le livre permet de savoir plus de choses, il y a plus de détails, mais le film permet de mieux comprendre, de voir la scène et comment sont les personnages. Donc pour moi je préfère les films que les livres mais pour La Rue Cases-Nègres, je préfère le livre."

Réponses de ceux qui ont été séduits par la plume de Zobel :

Z. : "J'ai préféré le livre car il était beaucoup plus détaillé, plus profond, on pouvait vraiment comprendre ce que José ressentait. D'ailleurs dans le livre, la différence entre les Békés et les Nègres est flagrante et énervante ; je trouve que le film n'a pas assez exploité ce côté-là et les sentiments de José."

A. : "J'ai préféré le livre, parce qu'il y avait plus de détails. Je préfère lire que regarder, on racontait bien les événements , il y a en plus un beau vocabulaire et ça me permet d'apprendre des mots, toutes les actions sont bien précisément racontées et on explique aussi le pourquoi de cela ; dans le film, c'est le gros qui est raconté, les actions les plus ''petites'' du livre ne sont pas racontées, ce qui réduit l'impact sur la personne qui regarde le film."

 

Joseph Zobel, des élèves de 13-14 ans, qu'ils soient plus ou moins armés littérairement, ont été sensibles à ta plume.

 

On peut relire ma chronique sur La Rue Cases-Nègres en cliquant ici.  

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