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Valets des livres
27 juillet 2019

La Résurgence des silences coupables, de Jean-Claude Bemba Belcaud

Pour que cessent les maux, il faut commencer par les identifier, c’est-à-dire les nommer, les mettre en lumière. Cette mise en lumière est le début de la guérison, car le mal prolifère dans l’ombre et l’ignorance. La Résurgence des silences coupables, de Jean-Claude Bemba Belcaud, est un cri de révolte contre les « silences coupables », ainsi qu’on le lit dans le titre, des silences que l’auteur dénonce tout au long de son recueil, comme dans le poème « Un drôle de rêve » :

« Ce silence inquiétant des mots

Qui taisent les maux des persécutés » (page 10)

 

L’auteur décrie surtout « les silences abjects des honnêtes gens » (p. 27) ou des « gens bien nés » (p. 29). Du moment que l’on vit dans le luxe et l’abondance, peu importe que l’on souffre et que l’on meure ailleurs, on ne se préoccupe que de ses intérêts. Que ceux-ci impliquent la désolation sous d’autres cieux, tant qu’on est bien chez soi, on fait semblant de ne pas voir ou de ne pas entendre, ou on ne compatit que des lèvres. Pour illustrer cette absence d’engagement véritable, cette déconnexion entre ce qu’on dit et ce qu’on fait, le poète n’hésite pas à convoquer Prévert et son célèbre poème « Le Cancre ». Voici les dernières lignes du poème « Humiliation », qui évoque la disparition des migrants dans les flots méditerranéens :

« Ils se sont tus face à ce commerce honteux

Qu’ils condamnent juste du bout des lèvres

Une coupe de Champagne dans une main

Et des gouttes de sang dans l’autre

Comme ces cancres de Prévert

Ils disent non qu’avec la tête » (p. 50)

 

 

COUV Bemba Belcaud 2

 

 

Dans son livre, l’auteur livre sa lecture du Congo actuel, mais le Congo n’est qu’un point de départ pour parler en réalité d’une situation politique que l’on observe dans tant de pays dirigés par des ogres.

« Des fleuves de sang coulent sur les plaines du Malebo

De l’Armageddon à Kinkala et sur la colline de Madingou

De Soweto à la terre des Mossis et jusqu’au Mont Cameroun

Les peuples opprimés ressentent et expriment les mêmes douleurs » (p. 9)

 

La Résurgence des silences coupables comprend deux parties qui non seulement se font écho mais sont aussi équitables eu égard au nombre de pages consacrées à chacune. La première moitié du livre propose des poèmes qui appellent à l’éveil des consciences, comme tous ceux qui luttèrent pour un Congo debout, pour une Afrique debout, une Afrique digne. Bien que l’auteur déclare modestement ne pas être de la même trempe que toutes ces figures devenues des symboles forts de l’Afrique libre et digne, il n’en demeure pas moins que la pierre qu’il pose en publiant ce livre est une pierre qui compte, le but n’étant pas de faire comme… mais de prendre conscience que nous pouvons, chacun à notre niveau, faire quelque chose. C’est l’ensemble de nos actions, aussi petites soient-elles, qui contribuera à construire une humanité digne :

« Je ne suis ni Tchimpa Mvita, ni Boueta Mbongo, ni Matsua, ni Kimbangu, ni Lumumba et encore moins Sankara. Il n’est pas donné à tout le monde d’être courageux, mais nous sommes tous des chaînons de cette grande chaïne que j’ose encore appeler HUMANITE », déclare le conteur Loumingou, porte-parole de l’auteur, dans l’épilogue qui clôt le conte. (p. 93)  

En effet dans la deuxième partie du livre, le poète se fait conteur et l’histoire de « Dzounou la Colombe » est une autre manière de dire ce pays dirigé par un chef qui a muselé la population, que sa cupidité illimitée a poussé à multiplier les crimes et qui use soit de la terreur, soit de la corruption pour prolonger son règne. Mais il y a une fin à toute chose et surtout on récolte ce qu’on sème. L’auteur invite le lecteur à considérer ces paroles que l’on trouve dans les textes sacrés : 

« Voici, le méchant prépare le mal, il conçoit l’iniquité pour enfanter le néant. Il ouvre une fosse, il la creuse, et il tombe dans la fosse qu’il a faite. Son iniquité retombe sur sa tête, et sa violence redescend sur son front. » (p. 90)

Il importe de le rappeler à ceux qui se croient tout permis, qui pensent être à l'abri de tout, mais qui est à l'abri de la mort ? La mort que l'on donne à manger aux autres est aussi celle qui nous emportera.

Les maux contre lesquels s'élève la voix du poète sont nombreux, même si, comme nous l'avons dit plus haut, ils se concentrent sur le Congo, ce "Congo de la vendetta", "Congo qui n'invente que le crime", "Congo des mille paradoxes", "Congo de la gabegie aux espoirs étouffés"...

 

Briser le silence, une urgence. La poésie, un remède : 

« Ma poésie est une médecine du coeur 

Qui guerroie contre la folie douce des hommes

Elle pratique en toute urgence et sans anesthésie

L'ablation des tares absurdes en ce bas monde

Sur ces prétentieux à la vanité blessée

Qui se font du fric avec le sang »  (p. 41)

 

Jean-Claude Bemba Belcaud, La résurgence des silences coupables, Poèmes et un conte, Edilivre, 2018, 11€.

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