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Valets des livres
18 août 2019

L'Oeuvre des volcans, de Roger Parsemain

Découverte d’un poète de la Martinique, Roger Parsemain, avec son recueil L’œuvre des volcans, d’où coule, comme de la lave, une poésie en vers et en prose. C’est une poésie qui a ses propres lois, qui chante sa propre musique, et en cela elle me fait penser à celle d’Aimé Césaire ou de Tchicaya U Tam’si.

Je m’étais demandée, à la lecture de la quatrième de couverture, si la comparaison avec l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal et des Armes miraculeuses, entre autres, n’était pas osée. Mais après m’être penchée sur L’œuvre des volcans, je me surprends à partager entièrement l’avis de Georges Mérida, le préfacier : l’œuvre de Roger Parsemain a « la force éruptive d’Aimé Césaire ».

Liss tenant PARSEMAIN

Un volcan a la particularité d’être imprévisible. Il semble dormir, mais il est tout simplement au repos, il peut se réveiller du jour au lendemain. Il semble inoffensif, mais quand il se réveille, il emporte tout sur son passage. On ne peut pas l’arrêter, on ne peut le soumettre à notre volonté, mais c’est l’environnement qui doit s’adapter à lui. Tout comme le temps.

Les volcans m’apparaissent dans ce recueil comme une représentation du temps.

« Le temps éclate. Poussière d’heures, blocs d’ans brisés. » (L’œuvre des volcans, page 14)

 

Les deux champs lexicaux, celui lié aux volcans et celui qui se rapporte au temps, s’entremêlent tout au long du recueil, notamment dans la première partie : « L’œuvre… ».

« Temps et temps

Depuis les volcans » (page 15)

 

Les volcans sont pour le poète comme une manière de dire l’histoire. Il invite à garder la mémoire des choses, à ne pas être oublieux. Considérer l’humanité, le monde, depuis ses origines.

« Te taire. Repose les mots. Ils corrompent le chant des choses. Ils tarissent le fleuve qui nous apure. Ne dis rien du rapt de la toile. Ni du froissement de ses lœss sur nos corps. Dans la sueur cachée de ta joie d’amour garde leur mémoire, oui, garde leur mémoire d’avant le babil des hommes. » (Page 23) 

La ‘‘mémoire d’avant le babil des hommes’’. Un peu plus haut le poète souhaite « renaître aux cendres d’avant le monde » (page 20).

 

Une autre thématique apparaît dans cette œuvre, celle que le poète nomme : L’Eve. « L’Eve d’avant l’homme » (p. 24) ; « Eve à la curiosité douce » (p. 26) « Eve des Eves » (p. 43) Elle est le troisième pilier qui soutient la voûte poétique de Roger Parsemain dans ce recueil, comme le montre cet extrait :

« Nuage et fumée se mêlent dans l’aube noyée de soir. Le tsunami soulève les îles. Mon premier cri d’homme. Etais-je mort au creux de l’Eve ? 

Dans la nausée des sels et des souffres son chant ranime mon sang malgré les caillots de jours et d’heures. Je suis oint de cent désirs au monde.

[…]

L’Eve partie nous reviendra. Sa maison respire sans horloge. Cent siècles y laissent leur poussière. L’écho de son pas grignotera la rue ouverte et la place. Là, le soleil défait les palais, bijoux de lœss lié de vent.

Palais oui palais. Tant de laves perdues. Gravats à venir. Coulées blanchies de lumière, crues de cendres à l’assaut des pays, éboulis d’orgues sans musique. Mais l’Eve danse dans la nuit […] » (pages 24-25) 

 

D’une part ‘‘fumée’’, ‘‘laves’’, ‘‘gravats’’, ‘‘coulées’’, ‘‘cendres’’ ; de l’autre ‘‘jours’’, ‘‘heures’’, ‘‘siècles’’, ‘‘horloge’’… ; et entre les deux l’Eve qui observe cette expression volcanique du temps. 

Liss tenant PARSEMAIN N°2

Dans la ta troisième partie du recueil, le poète s’intéresse à la figure d’Ulysse. « Et vous Grecs, que savez-vous d’Ulysse »., tel est le titre de cette troisième partie. Ce personnage de la mythologie grecque exprime beaucoup de choses, entre autres l’errance des hommes : « Ulysse brouteur d’îles et de continents » (p. 71).

J’ai particulièrement été sensible à la « Prophétie d’une généalogie possible » (p. 78), où le poète exprime l’idée que nous sommes tous nés d’un métissage oublié, comme dirait Henri Lopes. (Cité dans mon livre L’Expression du métissage dans la littérature africaine, page 10).

Voici l’histoire contée dans ce texte poétique : Un Chinois épouse une Indienne. Puis, à la mort de celle-ci, il épouse une autre femme « venue du fleuve Congo ». Puis lorsque cette dernière s’en va, il s’unit à une autre femme encore :

« Elle aura le nom sans mots de toutes les races de la Terre.

Vous aurez un fils. Et le fils aura des filles et des fils. (…)

Les filles et les fils iront à travers l’île et sur les continents en dérive insensible, pour d’autres filles et d’autres fils.

Les vagues de la mer viendront mourir et renaître, replis d’infini, ourlets d’éternité, souffles des jours et du siècle jusqu’à celui qu’on prénommera Ulysse. »

 

Nous sommes le résultat de métissages insoupçonnés. Avant de nous fixer en un endroit, nos parents, grands-parents ou ancêtres ont parcouru des territoires, traversé des fleuves, des mers ou des océans.  « Nous sommes tous des Ulysse » (p. 86).

 

Roger Parsemain, L’œuvre des volcans, L’Harmattan, Collection « Poètes des cinq continents », 2009, 11 €.

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Commentaires
K
La poésie constitue un trésor que l"on néglige aujourd'hui, on préfère se tourner vers les genres narratifs. Je fais partie de ceux qui veulent redorer le blason de la poésie. Mais comme tu le dis si bien, sa magie opère toujours dès qu'on s'y remet. Et parfois, ce sont d'heureuses coïncidences comme celles que tu as vécues qui favorisent ce retour.
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S
Cela fait un bon moment que j'ai tourné le dos à la poésie. Et puis, il y a quinze jours, j'ai relu l'un de mes poèmes préférés : "Le parricide" de Victor Hugo. Puis, lors d'un séjour à Dijon, je surprends - dans un parc - un ami lisant la vie des poètes du XIXe siècle. Et nous voilà partis dans un échange sur nos goûts poétiques... Ma passion pour la poésie me semble si loin maintenant. Et pourtant, comme la pratique du vélo, les sensations que procure la poésie se retrouvent très vite avec plaisir.<br /> <br /> Quant à toi, tu sembles garder intacte ta passion de la poésie au point d'analyser les textes avec une égale dextérité. Bravo !
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