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Valets des livres
13 octobre 2019

Face à la mer, de Rita Fabienne

A 25 ans, Rita Fabienne, publie Face à la mer, un roman qui met en scène une jeunesse avide de plaisirs et de fêtes et qui s’interroge sur les choix à faire lorsque surviennent par exemple des situations imprévues : une grossesse, une déception amoureuse…  L’héroïne, Rolande, est amenée à vivre plusieurs expériences affectives et professionnelles durant les quelques semaines de vacances passées au bord de la mer… loin de sa mère.

 

FACE A LA MER de Rita Fabienne 001

 

INTERVIEW

Rita Fabienne, vous avez participé à la 6e édition de la fête du livre de Kinshasa, et qui a accueilli des auteurs venus de tous les horizons. Que représente cette expérience pour vous ?

Je n’avais encore aucune idée de ce que ça représentait vraiment d’être auteur, jusqu’à cet événement. C’était comme si le monde de la littérature m’ouvrait grandement ses portes en me donnant l’occasion de rencontrer ces auteurs célèbres qui font bouger le monde de par leurs idées. J’ai pu m’imprégner des expériences de chacun d’eux. J’ai vraiment ressenti le poids de la responsabilité qu’est le travail d’auteur. C’est une expérience qui a été marquante dans le début de ma carrière en tant qu’auteure.

 

Rita Fabienne, partagez-vous l’avis des amis de l’héroïne de votre roman, qui lui conseillent d’épouser un étranger, de peur de « souffrir du manque d’affection et de sincérité que témoignaient souvent les jeunes Congolais ». Considérez-vous le Congolais, pour ne pas dire l’Africain, comme étant moins affectueux, moins sincère en amour que l’homme occidental ?

Non, je ne pense pas. Tout est question d’attentes et de culture. La vérité indéniable est que l’homme congolais ou africain en général exprime différemment son affection par rapport à l’homme occidental. Si, pour l’un, dire « je t’aime » à sa femme et la couvrir de bisous et de petits cadeaux à tout bout de champ peut être vu comme un petit signe de faiblesse ; pour l’autre, c’est quelque chose de tout à fait normal. Nos mères à l’époque arrivaient à vivre longtemps avec nos pères, sans se plaindre d’un quelconque manque d’affection de la part de ces derniers, peut-être parce que, à cette époque-là, les mœurs étaient très différentes de celles d’aujourd’hui. Les attentes des uns envers les autres étaient différentes. La femme africaine, ou congolaise de cette époque ne se contentait que de trouver un homme qui pouvait l’honorer et la valoriser aux yeux des siens, en l’épousant et en faisant d’elle une mère. Elles pouvaient même être deux ou trois à partager le même foyer conjugal, puisque-là n’était pas le problème. L’homme congolais, lui, cherchait la femme soumise, bien éduquée par ses parents, qui avait la parfaite maîtrise des différentes tâches ménagères. La femme se devait juste d’accomplir ses devoirs envers son homme. Et le simple fait que ce dernier l’ait épousée, pris soin d’elle ; et même de sa famille, suffisait à prouver à quel point elle était aimée par son homme.

Chez l’homme occidental, le mariage a toujours eu tendance à ne pas se présenter comme une priorité ou un devoir dans un couple. Le simple fait de témoigner verbalement ou par des actes son amour au quotidien, suffit. La question du manque d’affection et de sincérité en amour des Congolais se pose aujourd’hui à cause de tous ces changements, et de ce brassage interculturel qui s’est imposé à nous. La télévision a joué un rôle important dans ce changement et en particulier dans nos attentes en matière de relation amoureuse. La culture occidentale étant celle qui est le plus véhiculée par les médias, elle a influé sur la conception africaine de l’amour. Aujourd’hui la jeune femme africaine réclame de petites attentions, des déclarations d’amour, des câlins et des cadeaux à tout bout de champ plus que toutes autres choses, pour se sentir aimée et valorisée.

 

Photo Rita Fabienne 1

 

Les deux personnages principaux de votre roman sont deux Congolais qui, faisant connaissance l’un avec l’autre, n’hésitent pas à indiquer de quelle ethnie ils sont issus. Aujourd’hui se dresse comme une barrière entre les ethnies d’un même pays, suite notamment aux guerres civiles qui les ont instrumentalisées. Votre roman n’idéalise-t-il pas la réalité ? Peut-on encore s’aimer au Congo quand on est originaire, l’un du Nord, l’autre du Sud ?

Non, je ne pense pas que mon roman idéalise la réalité. Vous savez, nos pères nous ont raconté les guerres civiles, comment nos ethnies se sont entretuées. Ce serait complètement déraisonnable de dire que tout cela fait partie du passé, puisque, cette réalité reste bien ancrée dans notre société jusqu’à nos jours. Mais ce livre se rapproche de la réalité actuelle de notre société. Du moins, celle d’un futur proche. Puisque ce sont nos enfants l’avenir de demain, et que nous, jeunes d'aujourdh'ui, nous n’avons pas cette vision des choses basée sur l’ethnie.  Aujourd’hui quand deux jeunes congolais se croisent et tombent amoureux l’un de l’autre, la question ethnique est très loin de faire partie de leurs préoccupations. Le facteur ethnique n’apparait, bien évidemment, que lorsqu’il est question de présenter la personne choisie à notre famille. Et là encore, j’en ai déjà été témoin, le problème se pose de moins en moins dans certaines ethnies. Le plus important étant que les deux personnes se comportent bien l’une envers l’autre et qu’elles soient heureuses.

 

Dans les dialogues entre les personnages vous insérez parfois des phrases en lingala ou en kituba, langues nationales du Congo, que vous faites suivre de leur traduction ou que vous laissez telles quelles, sans traduction. Vous auriez aimé écrire votre roman entièrement en lingala ?

Oui, j’aurais aimé écrire ce roman en lingala, que je trouve d’ailleurs être l’une des plus belles langues populaires d’Afrique, et qui me fascine le plus. Il y’ a certaines expressions que l’on emploie chez moi qu’il est quasiment difficile d’expliquer en français, ou qui perdent un peu tout leur sens dans la traduction. J’aurais aimé être plus proche de la réalité que je décris. Quand quelqu’un me parle, il utilise en général 40% de mots en français, et 60% de mots en lingala, en lari ou en kituba. Ecrire complètement en lingala contribuerait à mettre un peu plus en valeur cette langue.  

 

Dans votre roman vous fustigez cette tendance qu’ont certains à donner à leurs enfants des prénoms tirés de héros de la Bible, habitude que vous assimilez à du fanatisme religieux. Pensez-vous que les Africains doivent se réapproprier leur identité en donnant à leurs enfants des noms purement africains ?

Je ne suis pas contre le fait d’entendre chez un africain les prénoms comme François, Patrice, Edward, ou autres prénoms occidentaux, que moi-même je porte d’ailleurs, du moment que l’on garde nos noms africains, très significatifs, comme MABIALA, ONANGA, ou autres. J’aurais tout de même aimé que, comme dans les pays d’Afrique de l’ouest, la plus grande partie de la population garde, en plus du nom, un prénom typiquement africain. L’ancien président MOBUTU au Zaïre, actuelle République Démocratique du Congo l’avait même imposé. Il y’a une vérité aujourd’hui que l’on doit admettre : c’est que les choses sont très loin de redevenir comme avant. Difficile aujourd’hui que l’Africain rejoigne ses racines et redevienne Africain dans tout son être, mais cela concerne aussi les autres populations, en raison brassage interculturel, interreligieux et interracial. A la place du mot ‘‘fanatisme’’, je dirais plutôt qu’il s’agit d’une dépendance religieuse. J’ai voulu montrer dans mon roman que chez nous, la religion n’est pas considérée comme un plus pour accompagner l’homme dans sa quête personnelle, mais plutôt comme un TOUT. L’on préfère par exemple rester chez soi, se lamenter et passer des milliers d’heures dans une église (parce que le miracle tomberait du ciel), plutôt que de se retourner face à soi-même pour trouver une solution. L’on a tendance à se mettre plus en position de passivité et espérer des choses, plutôt que d’agir en acteur dans sa propre vie.

 

Photo Rita Fabienne 3

 

Comment en êtes-vous arrivée à cette première publication ? Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de devenir auteure ?

J’ai commencé à écrire depuis l’âge de 14ans. C’était après que mon père eut déballé une malle pleine de livres, et que j’en eus lu quelques-uns. J’ai d’abord commencé par réécrire tout ce que je lisais en y apportant une touche un peu plus personnelle, puis j’ai ensuite commencé à écrire tout ce qui me passait par la tête. J’ai toujours pensé que l’écriture avait toujours été en moi, et qu’elle attendait juste le bon moment pour se manifester. Sans oublier l’état de transe dans lequel je plonge chaque fois que je dois écrire un texte. Comme si l’expression de mon âme prenait le dessus sur les désirs de ma chair. Je m’oublie complètement quand je suis dans cet état-là.

 

Quel est votre meilleur souvenir de lecture ?

C’est un peu difficile de répondre car plein de livres m’ont complètement marquée. Mais je crois que mon meilleur souvenir de lecture a été Le Jeu de L’amour et du Hasard de Marivaux. Ce livre s’est tout de suite rapproché de ma conception des choses. J’ai apprécié le fait de prendre le temps de connaître la personne avec qui l’on souhaite partager son monde, pour éviter les mariages de convenance et les préjugés. Je me souviens l’avoir trouvé très amusant et agréable à lire. J’avais aussi apprécié Bérénice, Phèdre et Athalie de Jean Racine. Le théâtre a vraiment été mon premier coup de cœur en matière de lecture.

 

Propos recueillis par Liss Kihindou.

 

Rita Fabienne, Face à la mer, Les Editions de la Fleuvitude, Québec, juillet 2018, 122 pages.

ISBN : 978-2-924874-16-5

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