Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Valets des livres
21 octobre 2020

Comme c'est beau la France, de Philippe Moukoko

Comme c'est beau la France,  premier roman de Philippe Moukoko, s'inscrit dans la thématique migratoire. Un jeune homme, qui se fait appeler Billy X, espère de tout coeur rompre avec le quotidien qui est le sien dans ce quartier de Pointe-Noire où il est né et où il a grandi : le "Kilomètre 4". Il n'a pas d'emploi, doit se livrer à toutes sortes de ruses et de manoeuvres pour pouvoir se mettre quelque chose sous la dent. Il n'est donc pas en mesure de s'occuper de sa fille, la petite Lola. Celle-ci est prise en charge par la famille de son ancienne compagne, par la grand-mère de la petite en particulier. Bien que Billy X et Soukaly ne soient plus officiellement ensemble, les liens entre les deux familles demeurent, puisqu'un enfant est né. Comment se sortir de la misère ? Voilà une question que nombreux, comme Dominique Loumingou, alias Billy X, se posent.

 

Couv Comme c beau la France

 

La ville côtière ne fait pas du tout rêver Billy X, ni aucune autre ville de son pays d'ailleurs.  Ni une quelconque ville d'Afrique. Le rêve de Billy X, c'est de rejoindre Paris, la "ville lumière". Paris transformera sa misère quotidienne en fortune perpétuelle. Pourvu qu'il y mette les pieds. Pour cela, il est prêt à tout. Même à spolier veuve et orphelins.

Un beau jour, Billy X s'envole pour la France, après avoir fait toutes sortes de promesses aux siens, à la famille de Soukaly également. Il promet de revenir chercher sa fille, pour qu'elle ait un autre avenir que celui qui l'attend au Kilomètre 4. Lorsque Billy X revient effectivement au pays, avec des billets à profusion, qu'il dépense sans compter, qu'il offre même pour un oui ou pour un non, sa légende de nouveau millionaire est établie, d'autant plus qu'il est vêtu de pied en cap avec tout le clinquant censé entourer tout parisien digne de ce nom, dans l'imaginaire congolais. Mâ Germaine, la maman de Soukaly, véritable responsable de l'enfant, n'hésite pas longtemps avant de donner sa bénédiction pour que Billy X emmène sa petite-fille. Makila Mabé, son unique fils, qu'elle a consulté, y est tout aussi favorable. Il est l'homme de la maison, étant donné que son père n'a jamais été présent, Mâ Germaine a élevé ses enfants seule.

 

Seulement, quelques années plus tard, la nouvelle du décès de Billy X parvient à Pointe-Noire, au moment même où Makila Mabé obtient une bourse d'études en France, à Paris. Qu'est-il arrivé ? Où est la petite Lola ? La française avec laquelle Billy X s'était mis en ménage ne serait-elle pas responsable de ces disparitions mystérieuses ?

Makila Mabé est chargé de mener l'enquête une fois arrivé à Paris, une enquête durant laquelle il va découvrir des réalités qu'il ne soupçonnait pas. Le titre du roman sonnait déjà comme un avertissement. C'est un parcours d'initiation qui commence pour Makila Mabé, ou plutôt il découvre, au fil de ses investigations, le parcours pour le moins scabreux de Billy X, car pour lui-même tout semble se présente sous les meilleurs auspices, ce qui peut paraître peu réaliste aux yeux du lecteur exigeant, qui trouvera étonamment "lisse" la vie de Makila Mabé, à partir du moment où il quitte le pays. On peut se demander comment il a si facilement obtenu une bourse en France, comme s'il suffisait de la demander pour la recevoir. Lorsqu'il arrive en France, il est bien logé, bien nourri, tout naturellement. Il avance sans problème dans ses études de droit. Et même lorsqu'il tombe amoureux d'une française blanche, il est parfaitement bien accueilli par la famille de cette dernière. En un mot, tout est pour le mieux pour Makila Mabé, contrairement à tous ceux qui l'entourent, tous ceux qu'il rencontre. Il ne connaît aucune des difficultés auxquelles les Africains qui immigrent en France peuvent être confrontés, et comme ce n'est pas parce qu'il est issu d'une classe sociale qui aurait pu aisément le mettre à l'abri de ces difficultés, cela peut paraître idyllique. De même certains propos tenus par les personnages peuvent paraître des clichés, comme lorsque le narrateur déclare : "On ne peut pas toujours suivre nos ancêtres, des gens qui marchaient pieds nus, qui portaient des cache-sexes, qui vivaient dans des huttes, qui avaient peur de montrer la lune du doigt, qui s'empressaient de vendre hommes, femmes et territoires pour une pincée de sel, un ballot d'étoffes ou une boîte d'allumettes". 

J'ai apprécié le clin d'oeil au poète et romancier Tchicaya U Tams'i, dont Philippe Moukoko cite quelques vers en exergue de son roman : 

"Demain nous serons sages

Tu me crois, dis ? Demain

Nous aurons un destin

neuf au fond d'un voyage"

 

Ces vers sont extraits du recueil Le Mauvais sang, et le nom du personnage-narrateur rappelle le titre de ce recueil, puisque "Makila Mabé" signifie "mauvais sang" en lingala, une des langues principales du Congo.

Se construire un "destin neuf", tel est le rêve d'une jeunesse qui se sent à l'étroit, mais à quel prix ? Avec quels moyens ? Ce roman est une invitation à bien réfléchir aux couleurs avec lesquelles on veut dessiner son avenir, car même si la palette de couleurs est plutôt pauvre en choix, il reste malgré tout un choix à effectuer.   

 

Philippe Moukoko, Comme c'est beau la France ! Paris, Editions L'Harmattan, collection Encres noires, 2017, 220 pages, 20.50€.

Publicité
Publicité
Commentaires
Valets des livres
Publicité
Archives
Publicité