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Valets des livres
31 décembre 2020

Reste avec moi, d'Ayobami Adebayo

Cela fait un bon moment que Reste avec moi s'est inscrit sur la liste des oeuvres que je devais absolument lire, d'abord parce que plusieurs de mes amis en ont parlé, en des termes qui m'incitaient à écourter au plus vite le temps où ce roman devait encore rester ignoré de moi, ensuite parce que c'est ce roman, finalement, qui a été couronné par le Prix Les Afriques, de la CENE littéraire.

D'ailleurs, c'est parce qu'il s'est retrouvé parmi les finalistes du prix Les Afriques que ce premier roman d'Ayobami Adebayo a encore plus suscité les intercations, sur les réseaux. C'est une oeuvre qui avait déjà tracé sa route. Depuis sa parution, en 2017, sous le titre original Stay with me, ce roman a été traduit dans 18 pays et sélectionné pour plusieurs prix littéraires.

 

COUV Adebayo 2

 

 

C'est un roman qui vaut son pesant d'or. Ce qui frappe d'abord, c'est sa construction magistrale. L'auteure croise les années, promène le lecteur entre le passé et le présent ; la situation actuelle des personnages est mise en regard avec leur situation passée, si bien que, dès le début, on a déjà des pistes, on peut estimer que l'auteur nous a déjà donné des clefs et que la question qui reste à élucider, c'est de savoir par quels cheminements les protagonistes se sont retrouvés dans la situation actuelle. Seulement, au fil de la lecture, on s'aperçoit que les clefs que l'on croyait détenir n'étaient en réalité que des jouets et que les vraies clefs étaient encore hors de portée. Ainsi, le lecteur s'engage dans des interprétations qu'il devra sans cesse remettre à jour. Même le titre, "Reste avec moi", ne prend véritablement tout son sens que vers le dernier quart du livre. 

L'auteure a aussi croisé les voix des deux personnages principaux, laissant le lecteur être l'arbitre entre entre Yejide et Akin, puisque chacun d'eux raconte tour à tour l'histoire à la première personne, même s'il y a davantage de chapitres dévolus Yejide. En effet, le roman est dabord raconté du point de vue de la femme, puisque c'est elle qui est incriminée, c'est elle qui est pointée du doigt, c'est à elle qu'on demande tous les efforts, tous les sacrifices, c'est à elle de faire en sorte que les choses s'améliorent. Et on ne peut pas reprocher à Yejide de ne pas avoir fait le nécessaire, comme le confessera sa belle-mère plus tard : "Elle a essayé, oh oui, même un aveugle peut voir qu'elle s'est donné un mal de chien." (p. 304)

Qu'a donc essayé Yejide ? Qu'attendait-on d'elle ? On attendait d'elle qu'elle donne des enfants à son mari.  Pourtant, la réponse de Yejide à sa belle-mère, lorsque celle-ci, pour la énième fois, la somme de faire évoluer les choses, est pertinente :

- Pourquoi refuses-tu un enfant à mon fils ?

- Je ne fabrique pas les enfants. C'est Dieu qui les fabrique.

Elle marcha dans ma direction et, quand ses orteils cognèrent le bout de mes chaussures, elle dit :

- As-tu déjà vu Dieu dans une salle de travail ? Ce sont les femmes qui fabriquent les enfants, et si tu n'y arrives pas, c'est que tu es un homme. On ne devrait pas te considérer comme une femme. 

(Reste avec moi, page 61-62) 

 

Yejide a voulu faire comprendre à sa belle-mère que le miracle de la vie, ce don merveilleux de la nature, ne dépend pas du seul bon vouloir de la femme, mais sa belle-mère ne l'entendait pas de cette oreile. Encore aujourd'hui, dans certaines sociétés, les yeux sont toujours braqués sur la femme. C'est presque toujours elle qui essuie toutes les humiliations, si l'honneur de quelqu'un doit rester sauf, c'est celui de l'époux. Comme je le dis dans "Bakento" (Femmes), ce poème écrit à l'occasion de la journée de la femme : "La femme a toujours tort / L'homme a toujours... raison" (La Morsure du Soleil, page 26). 

Envie de relire d'autres oeuvres qui abordent la question de l'infertilité ou du désir (inassouvi) d'enfant, par exemple la nouvelle "Histoire d'une fille de ferme", de Maupassant ; le roman Homme et Femme Dieu les créa, de Marie-Louise Abia ;  et puis cette nouvelle de Mambou Aimée Gnali, intitulée tout simplement "Test". En voici un extrait, qui fait particulièrement écho au roman d'Ayobami Adebayo :

"A Brazzaville, loin des proches, elle vivait à peu près en paix. A Pointe-Noire, même les silences étaient lourds de non-dits. Sans compter les allusions à peine voilées de ses beaux-parents, les femmes en particulier, toujours agressives et féroces à l'endroit de leurs congénères, comme si elles étaient rivales. Elle n'osait pas sortir. Mais sous quel prétexte échapper aux visites à la belle-famille, au début, comme à la fin des congés ? 

Arrivée la veille du premier mariage, elle était allée saluer sa belle-soeur le matin, avant la cérémonie de l'après-midi. Elle la trouva occupée à nourrir sa volaille. L'occasion pour la belle-soeur de lui décocher quelques piques, en feignant de s'en prendre à "ces poules qui mangent deux fois plus que les autres, mais ne pondent aucun oeuf". L'allusion était claire et la journée gâchée pour Mouissou."

(Aimée Mambou Gnali, "Le Test", in Ecrire à Pointe-Noire, Acoria Editions, pages 23-24  2017.)   

 

Pour un premier roman, la nigériane Ayobami Adebayo signe, avec Reste avec moi, un coup de maître. Je n'ai pu m'empêcher de faire le rapprochement avec une autre Nigériane, Chimamanda Ngozi Adichie, qu'on ne présente plus. Comme L'Hibiscus pourpre ou L'aure moitié du Soleil, le roman Reste avec moi met en scène des Africains qui gagnent bien leur vie, qui sont instruits, cela n'empêche pas les "misères", mais ce sont des misères morales, et ces dernières sont sans doute les plus éprouvantes. 

 

Photo Adebayo

(Ayobami Adebayo)

Ayobami Adebayo, Reste avec moi, Editions J'ai lu, 2020. Titre original Stay with me (2017), 2019 pour la traduction française, par Josette Chicheportiche. 

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Commentaires
S
Un roman qui semble donc ne laisser personne indifférent. C'est un très bon point. Tu donnes envie de le lire.
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A
Et voilà! Je suis piégée. J'en envie de lire le livre maintenant (!) parce qu'à la lecture de votre billet, je veux absolument connaître le sens du titre "Reste avec moi" ...<br /> <br /> Merci Liss<br /> <br /> Anne
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