Entretien avec le poète Frédéric Ganga
A l'occasion de la sortie de son anthologie poétique, Frédéric Ganga, qui se définit comme un poète savoyo-congolo-montmartro-ciotaden, nous a accordé un entretien. Cette conversation avec le poète peut être vue comme une invitatation à converser plus longuement avec lui, en vous laissant embarquer dans son Anthologie personnelle, une belle promesse de voyage qui vous réserve des surprises. Un article sur cette anthologie est aussi disponible ici.
ENTRETIEN
Frédéric Ganga, parlez-nous de votre rencontre avec la poésie : comment êtes-vous entré en poésie ?
Par la biologie en classe de 6ème. la professeure a donné un devoir sur la moule (l’animal bivalve) et j’ai rendu un devoir sous forme de poème, sans me poser de questions. La professeur était ravie et, avec son accent du Midi, a déclaré à la cantonade : nous avons un petit poète.
De 1980 à 2020, cela fait 40 ans que vous publiez de la poésie. Avez-vous le sentiment d’avoir mûri ?
Non, j’ai même l’impression que certains poèmes de jeunesse sont plus mûrs que ceux d’aujourd’hui. C’est que mes disponibilités poétiques sont moindres en ces temps d’homme de famille. j’attends quelques années avant de reprendre mon envol... je le sens.
Cette Anthologie porte le sous-titre « Renoncer à être un Ange », précédé du chiffre I. Doit-on comprendre qu’il ne s’agit pas de la somme de toutes vos publications sur 40 ans mais plutôt d’un choix de poèmes qui vous obligent à quitter la berge de la quiétude pour faire corps avec le tumulte du monde ? Un deuxième tome est-il en préparation, qui sera placé sous un autre signe, aura une autre visée ?
Renoncer à être un ange renvoie au poème qui se termine par “Plus je grandis, plus je crois en la vie, même si je n’ai pas renoncé à être un ange”. La figure de l’ange me travaille depuis la prime enfance, et la matérialité, l’organicité de l’humain me pèse souvent, même si la sensualité fait le poète que je suis. J’ai imaginé, après ces 40 ans de poésie, “poser” les 20 ans suivants avec un autre sous-titre dont j’ignore encore le nom, précédé du chiffre II.
(Liss Kihindou et Frédéric Ganga, à la gare ferroviaire de La Ciotat, où réside le poète)
Il y a plusieurs centaines de poèmes dans cette anthologie, je suis consciente que la réponse à ma question ne sera sans doute pas évidente, mais quel est, parmi ces nombreux poèmes, celui qui vous ressemble le plus ?
Ah ah ! Je vais me plier à ce jeu, en sachant que si vous me posez cette question demain, la réponse sera certainement autre. Mais aujourd’hui, en ce 20 mai de l’an de grâce 2021, je nomme le poème de la page 292 commençant par : Nous ne savons jamais ce que nous signifions.. je suis perdu dans mon humanité, l’homme est perdu dans sa vivacité et je dois – nous devons nous retrouver dans l’humilité et la fraternité du vivant.
A l’inverse, quel est celui de vos poèmes qui vous a le plus étonné, parce que vous n’auriez jamais imaginé écrire un tel poème, parce que vous avez l’impression qu’il s’est écrit en quelque sorte hors de vous….
Cette fois-ci, cela semble plus facile. Ce serait le poème de la page 396 qui m’effraie encore lorsque je le relis et qui commence par “Si tu savais combien je t’aime, tu prendrais peur...” Il est comme un poème venu d’un rêve enfoui et soudainement imposé alors qu’on souhaite (mais c’est impossible !) le garder enfoui.
Vous êtes résolument poète, vous avez fait paraître plus d’une quinzaine de recueils, n’avez-vous jamais été tenté de continuer à faire de la poésie, mais en passant par un autre genre, par exemple le roman ?
J’ai essayé dans mon jeune âge de m’enfermer dans un châlet durant une semaine et d ‘écrire, mais j’ai soudainement compris le travail du romancier, un travail long et minutieux. Par rapport à la fusion, à la précipitation créatrice du poème, le roman m’a semblé ennuyeux et pénible, tout simplement aussi éloigné de moi que la charrue de la pluie. Je connais la pluie, je suis son frère. Mais la charrue, je ne la connais pas.
Pour terminer, que diriez-vous à ceux qui pensent que la poésie, ce n’est pas pour eux ?
Je leur dirais qu’ils n’ont qu’à se souvenir de tous ces mots venus spontanément, même de façon confuse, lors des grandes émotions (Eros et Thanatos, bien entendu !). La Poésie est là, d’abord, et puis l’école, la famille, l’entreprise façonnent la prose. Soit l’on garde une part irréductible de sincérité, la vibration d ela poésie, soit on l’enfouit sous des tonnes de prose. cependant, la Poésie est toujours là. Qu’ils creusent un tant soit peu, qu’ils l’appellent, elle surgira !
Propos recueillis par Liss Kihindou.
Poèmes cités par l'auteur
Nous ne savons jamais ce que nous signifions
Pour le lapin, l'aigle et la loutre
Le vieux chêne, l'olivier centenaire et le coquelicot
L'astre des circonvolutions
Et l'eau claire des sources
Qui va à tâtons vers la mer
La parole de vent taillée
Par un millier de vents farceurs
La goutte de sang du joyau
Jamais ce que nous signifions
Pour l'azur si déconcerté
Pour le sourire d'un murmure
Dans le désert des vérités
Pour tout ce qui meurt de blessure
Sans y avoir jamais pensé
Nous ne savons jamais ce que nous signifions
Pour l'ombre et la lumière.
(Page 292)
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Si tu savais combien je t'aime
Tu prendrais peur
Comme un enfant prend au baptême
De la hauteur
Comme un affront prend au blasphème
La pesanteur
Si tu savais combien je t'aime
Tu prendrais peur
Si tu savais combien je t'aime
Tu rirais fort
A élargir les Bethléem
Et les Bosphore
A transformer les épidermes
En poudre d'or
Si tu savais combien je t'aime
Tu rirais fort
Si tu savais combien je t'aime
Tu partirais
Au paradis, au Lieu sans peine
Tu rejoindrais
La litanie morne des plaines
Et des palais
Si tu savais combien je t'aime
Tu reviendrais.
(Page 396)