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Valets des livres

7 avril 2024

L’Orgasme douloureux, de Carmen Toudonou

Carmen Toudonou signe, avec L’Orgasme douloureux, un roman politique dont le titre est représentatif du double langage qui structure le récit, et que l’autrice manie à merveille. Sous couvert d’humour et de légèreté, Carmen Toudonou dresse un sévère réquisitoire contre les ‘‘républiques’’ africaines dont l’action politique consiste à éteindre toutes les lumières susceptibles d’offrir au pays un jour nouveau. Ces Républiques se complaisent dans l’obscurantisme, la bêtise et œuvrent pour l’avènement des ‘‘ténèbres à midi’’, pour reprendre le titre d’un roman de Théo Ananissoh. L’Orgasme douloureux est une satire des sociétés africaines contemporaines. L’autrice n’épargne ni les gouvernants ni les gouvernés.

 

 

Une République Royaume

 

Carmen Toudonou met en scène des présidents qui non seulement accèdent au pouvoir par des coups d’état – c’est-à-dire par des moyens qui ne peuvent nullement être qualifiés de démocratiques –  mais estiment aussi qu’ils doivent rester sur le trône jusqu’à la fin de leur vie. D’ailleurs, ils ne pensent pas que leur existence ait une fin, comme celle de tous les mortels. Ils agissent, se comportent comme s’ils étaient éternels. Le pouvoir est à eux, pour l’éternité, à eux et à leur famille.

Cette durée excessive au pouvoir est soulignée par le chiffre sept, constant dans le roman : le mandat présidentiel dure sept ans et les septennats se suivent sans que les élections ne portent à la tête du pays un nouveau président. C’est toujours le même qui est réélu. A la mort de Roi-Président, le premier monarque de la Pomorie indépendante, dont les habitants doivent porter le deuil pendant sept jours, c’est Président-Roi qui lui succède sur le trône et qui devra déjouer sept complots. L’opposant politique Decrotair n’est pas libéré avant sa septième année.

Quand ce n’est pas le chiffre sept, c’est le chiffre quarante qui frappe le lecteur, comme les « quarante jours de jeûne et prières » consécutifs à la conversion de Président-Roi à la secte des ‘‘Affranchis du Septième Jour’’. Cet emploi abusif des chiffres revêtus d’une valeur symbolique dans les textes sacrés met en relief les prétentions de ces monarques qui se prennent pour Dieu. Le titre même de ‘‘Président-Roi’’ ou ‘‘Roi-Président’’ montre à suffisance que les soi-disant ‘‘républiques’’ sont en réalité des monarchies, ou plutôt des dictatures.

Afin d’asseoir son règne sans courir le risque de voir un autre acteur se faire une place sur la scène politique, le dictateur confie les plus hautes responsabilités, et même les moindres, aux membres de sa famille, ses enfants en particulier : « Les enfants de Président-Roi en âge de gagner leur vie, s’ils n’étaient pas au gouvernement, bénéficiaient de postes importants dans les directions des sociétés d’Etat, quand ils n’en étaient pas les directeurs. Ils travaillaient aussi dans les compagnies nationalisées, ils étaient  directeurs de cabinet, secrétaires généraux, conseillers spéciaux et chargés de mission à la présidence ou dans les ministères. » (page 78)

Autant dire que la carrière politique et les postes les plus intéressants constituent la chasse gardée du Président et de ses enfants. Les membres qui n’ont aucun lien familial avec le président peuvent être certains que, tôt ou tard, le président verra en eux de potentiels concurrents ou opposants. La liquidation physique est très souvent le sort qui les attend, quel que soit leur degré de dévouement et d’asservissement au pouvoir.

 

Un gouvernement de la confiscation

 

Le président ne se contente pas d’étouffer les aspirations politiques des uns et des autres en faisant de l’exercice politique un bien privé, il prive le peuple de tout ce qui est essentiel à l’épanouissement de l’être humain, en commençant par la parole. La seule parole qui doit être relayée à longueur de journée, dans les médias, c’est celle du président, considérée comme sacrée, indiscutable. La moindre remise en question ou critique se solde par l’incarcération, quand ce n’est la mort.

Le président et toute sa clique, constituée de ses enfants, épouses, maîtresses et autres proches parents sont les seuls à tirer profit des richesses minières du pays, représentées par les diamants dont regorge le sous-sol pomorien. La famille présidentielle mène un train de vie insolent,  elle réside dans des quartiers luxueux, dotés de toutes les commodités, tandis que le peuple s’entasse sur des sites insalubres où même l’eau courante paraît un luxe.  

Non content de faire du bien-être matériel et financier une prérogative de la famille présidentielle, le monarque prend le soin d’engourdir les capacités intellectuelles de ses administrés.  Cela commence avec les programmes scolaires, conçus pour abrutir plutôt que pour instruire. Une bonne instruction éveille l’esprit critique et celui-ci risque, à terme, de mettre en péril le pouvoir du dictateur. Président-Roi veille donc à entretenir, chez les Pomoriens, non le désir de la connaissance, mais celui des plaisirs immédiats. L’orgasme. Tel doit être le projet de vie de la jeunesse pomorienne, dont l’éducation est sabotée.

Les habitants de ce pays africain fictif nommé Pomorie, et dont la capitale est Cocoland, manquent cruellement d’esprit critique et de jugeote. Ils font même preuve de fanatisme, à l’exemple du taximan qui rabroue le narrateur lorsque celui-ci ose relever la médiocrité du Président-Roi : « Ce n’est pas un bougre, et tu vas retirer tout de suite ce que tu as dit, monsieur. Parce que c’est notre président, son excellence Président-Roi. » (page 55).

La léthargie intellectuelle des Pomoriens n’est pas étonnante, étant donné qu’ils ont été formatés pour aduler leur président, pour applaudir à tout ce qu’il fait et dit, même quand il s’agit d’âneries. Les rares personnes qui conservent un esprit lucide sont celles qui ont été scolarisées dans des établissements privés, par exemple le lycée franais, oui, vous avez bien lu, ce n’est pas une erreur de frappe comme on peut le penser la première fois que l’on tombe sur ce mot : la Frane a son établissement scolaire en Pomorie, où le Président a pris le soin d’inscrire sa fille chérie. L’appétit intellectuel de Blintou est en outre aiguisé par les nombreuses lectures qu’elle fait, car elle dispose d’une bibliothèque personnelle riche et variée, « la première, seule, et plus grande bibliothèque de Pomorie ». Cette bibliothèque à l’usage exclusif de la fille du président comprend « sept collections » – encore sept : « littérature franaise, littérature rousse, littérature anelaise, littérature armoricaine, littérature honoroise, littérature aubrichiene et littérature jaconaise. Et tous ces livres, traduits en franais, la langue officielle de la Pomorie, étaient chacun disponible en trois exemplaires, pour tous les cas » (page 104).

Il suffit de retirer, d’ajouter ou de modifier une lettre pour retrouver le pays occidental auquel chacune des nominations fait penser. Président-Roi n’a pas hésité à importer « quatre ou six conteneurs de livres, en majorité des classiques franais, parce que la littérature pomorienne, essentiellement d’expression franaise, ne pouvait absolument pas être de bon goût. » (page 103)

Ainsi, le Président se soucie de donner à sa progéniture tout le confort matériel, intellectuel et  professionnel auquel on peut rêver, pendant que ses administrés ont une éducation, des conditions de vie, des habitations, etc. qui laissent à désirer. Et c’est bien ce qui s’observe aujourd’hui dans ces pays africains à la tête desquels se trouve le même président-monarque depuis des décennies, qui se considère comme l’homme présidentiel du pays, le seul qui puisse pourvoir au bien-être des citoyens, mais pour quel résultat, pour quel bilan, après des décennies de règne ?  

 

Les entraves au développement

 

Ces présidents-providentiels sont d’autant plus risibles qu’ils semblent convaincus d’être des hommes d’état extraordinaires. L’ironie est savoureuse dans ce roman. Les actions, projets, réalisations du Président-Roi sont rapportées avec le plus grand sérieux, mais la distance entre la forme et le fond tourne en ridicule le monarque, comme on peut le lire page 81 : « Président-Roi était un grand penseur de son époque, et il en avait conscience ». Et l’on relève de nombreuses expressions qui, sorties de leur contexte, pourraient faire croire que cet homme d’état a profondément contribué à l’avènement d’une ère nouvelle ou qu’il avait des aspirations révolutionnaires pour son pays. Dans le chapitre « Le Petit livre rose », le narrateur nous parle de ‘‘chef-d’œuvre absolu d’inventivité’’, de ‘‘pensée politique’’ ou ‘‘pensée révolutionnaire du grand homme’’, de ‘‘grande invention’’, de création d’un ‘‘centre d’études et de recherches’’, plus loin, page 146, il évoque une ‘‘mission régalienne’’…

Mais de quoi s’agit-il en réalité ? Il s’agit d’atteindre l’orgasme ou de fournir à la population les moyens de se procurer l’orgasme. Les centres de recherches dans lesquels investit le Président sont ceux qui travaillent à la fabrication d’aphrodisiaques ou de remèdes contre l’impuissance sexuelle. Les nombreuses occupations du monarque, qui l’empêchent d’arriver à l’heure aux réunions du gouvernement, consistent à honorer ses dizaines d’épouses. La « mission régalienne » qu’il se donne est celle de faire jouir les épouses de ses ministres, parce que son propre harem ne compte pas, tant qu’il ne s’est pas approprié les épouses des autres. Le président fait de l’orgasme une préoccupation nationale. Les « complots » qu’il se targue d’avoir déjoués sont, entre autres, celui du « slip blanc », ou de la « culotte rouge ».

Quand on a, à la tête du pays, des dirigeants dont les ambitions ne volent pas plus haut que leur verge, on obtient des populations qui manquent d’horizon, de vision pour leur avenir. L’existence ne tourne qu’autour de la satisfaction des besoins élémentaires : boire, manger, jouir. Une existence de « mikolo nioso fêti na fêti » comme on pourrait le dire en lingala, pour traduire l’état d’esprit d’un peuple qui ne se préoccupe que de faire la fête tous les jours. Fête des sens surtout. Mais les lendemains de fête peuvent s’avérer douloureux, la désillusion est amère, lorsqu’on s’aperçoit, au réveil, que l’on manque de tout, que l’on se contente des déchets, des miettes, pendant que la classe au pouvoir dilapide les deniers publics. Le président et sa famille affrètent par exemple des vols spéciaux pour faire venir d’Occident tel article nécessaire à telle fête ou tel anniversaire. D’où le titre « L’orgasme douloureux ».

Il est indispensable que le peuple se lève, comme un seul homme, et remette en cause cette politique du nivellement par le bas. Tant qu’il n’y aura qu’un seul Decrotair qui se démènera pour dénoncer les abus du pouvoir et sa politique médiocre, rien ne changera sous le soleil africain. Le président-monarque continuera à dormir sur ses deux oreilles, sans se préoccuper le moins du monde des quelques voix discordantes dans ce concert de louanges. Les opposants, il les envoie au « centre de redressement ». Expression qui traduit également le double langage dans ce roman, car elle est à prendre au sens propre et au figuré. Il s’agit d’un centre pénitencier où l’on s’attelle à redresser le phallus de l’opposant, avec des armes d’une efficacité éprouvée : jeune pomorienne vierge aux attributs irrésistibles et « Tendeur » ou « Glangouna » à l’appui. Le tendeur » et le « Glangouna » sont des aphrodisiaques. Cette méthode de « redressement » des opposants est une métaphore de la corruption dont les monarques font usage dans les régimes dictatoriaux : ceux qu’ils ne réussissent pas à corrompre, ils les éliminent.

 

(Carmen Fifamè TOUDONOU, écrivaine béninoise)

 

Conclusion

 

Carmen Fifamè Toudonou met à l’index des politiques gouvernementales qui flattent les bas instincts, qui émoustillent les sens plutôt que les neurones, qui « redressent » les verges au lieu d’élever les esprits, qui combattent « la sécheresse où il ne faut », au lieu de combattre la sécheresse intellectuelle. Le manque cruel de bibliothèques et d’instruction digne de ce nom est un sabotage intellectuel orchestré pour obtenir une population qui ne se révolte pas. Ainsi, le Président-Roi dispose des biens du pays et du territoire national comme si c’était son bien personnel. En 2024, un monarque peut décider de déposséder les citoyens de son pays des terres de leurs ancêtres pour les offrir à un pays étranger et il se prend pour un président extraordinaire. Mais tôt ou tard souffle un vent de révolte, et celui-ci peut venir du propre camp du président. Dans ce roman, ce sont les femmes qui se muent en force capable de briser la geôle spirituelle dans laquelle Président-Roi avait enfermé le peuple. Ce sont elles qui renversent son pouvoir. L’avenir dépend-il des femmes ?

 

Carmen Fifamè TOUDONOU, L’Orgasme douloureux, Editions Lakalita, 2022, 218 pages.

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8 juillet 2023

Le temps et l'ennui selon Anaëlle, au Grand Slam du 77

     Je pensais qu’il faudrait beaucoup de temps pour motiver ma fille (la deuxième) à s’essayer à l’expression poétique, l’expression orale en particulier, devant public. Je me disais qu’il faudrait encore plus de temps pour qu’elle y prenne plaisir. J’ai constaté que plus je leur parle de tout ce qui est en rapport avec les mots, plus je leur parle d’auteurs, de livres, de littérature, plus mes enfants deviennent réfractaires à la littérature. Est-ce moi qui les rebute en leur en parlant trop ou elles qui ont une réaction négative juste pour me désespérer ? J’avais peine à déterminer si c’était seulement une posture ou si, vraiment, le pouvoir des mots n’avait plus d’effet sur elles ? Je dis « n’avait » parce qu’il fut un temps où elles lisaient beaucoup. Mais à présent le dessin, et aussi les écrans il faut le dire, semblent avoir leur préférence.

 

Slam 2023 - Collège - 315

(Crédit photo : Atelier Photo du Loing)

 

 

     Il aura fallu cet atelier slam avec Lord Myke Jam pour que je m’aperçoive que sous l’apparente indifférence couvait encore une braise qui s’est allumée si vivement que j’ai été bien surprise. Surprise de voir Anaëlle se saisir de l’opportunité d’écrire un texte personnel et de l’interpréter devant un public.

     A quelques semaines du tournoi ''Grand Slam du 77'', elle me dit :

« - Maman, est-ce que j’ai le droit de dire un autre texte que celui que j’ai répété jusque-là ? En fait hier soir, j’avais du mal à m’endormir et j’ai écrit un autre texte.

-          Tu as le droit, si ton texte ne te plaît plus ou te plait moins, d’en écrire un autre, à condition que tu sois prête pour le tournoi et que tu le maîtrises, que tu le connaisses par cœur.

-          Oui, je serai prête maman, t’inquiète. »

     Au fond de moi, je me suis dit : « Eh bien, l’inspiration aurait-elle tenu ma fille éveillée ? En voilà une bonne nouvelle ! » Et quand je l’ai entendue lire son texte, j’ai trouvé qu’il était pas mal ! Je sentais qu'il venait de ses tripes, que cela lui tenait à coeur de dire ce qu'elle disait.

     Visiblement, mon avis positif n’était pas simplement dicté par les sentiments d'une mère fière de sa fille, car avec ce texte, non seulement elle a été sélectionnée pour représenter son établissement au Grand Slam du 77, mais encore elle a fait partie des finalistes du tournoi, elle est arrivée cinquième au classement, parmi une centaine de jeunes poètes ! 

     Ah poésie, quand tu nous tiens !

 

 

 

 

30 juin 2023

Le Seigneur du Fleuve, de Bernard Clavel

     Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas ressenti une telle tension au cours de ma lecture, avec impossibilité de résister à la tentation de savoir tout de suite comment ça se termine, pour me libérer, pour connaître la destination que me prépare l’auteur, au lieu de naviguer sans savoir où je vais.

     La dernière fois que je me suis trouvée dans cet état, c’était au cours de ma lecture du roman Un enfant du pays, de Richard Wright. Mais la 4e de couverture du roman gâche tout, de toutes façons, elle dévoile l’essentiel de l’intrigue. Il n’empêche que vous êtes, malgré tout, comme saisi(e) entre des tenailles et le fait de savoir ce qui va se passer ne vous libère pas pour autant mais contribue au contraire à vous maintenir dans une angoisse sans nom, celle du personnage, que vous partagez avec lui avec la même intensité.

     Plus récemment, j’ai été taraudée par le désir de savoir si le ciel allait s’éclaircir ou pas pour le personnage principal, en lisant Né coupable de Florence Cadier. J’ai pu résister à la tentation de faire des bonds dans ma lecture pour jeter un œil sur le dénouement avant de revenir à la page que je lisais, parce que j’avais eu l’intuition du dénouement. J’ai lu, sous pression sans doute, mais j’ai résisté à la tentation. J’ai tourné les pages les unes après les autres. Calmement. Sans précipitation.

     Et puis là, avec Le Seigneur du Fleuve de Bernard Clavel, dès les premières pages du roman, je me suis sentie… faible, sans résistance. J’ai bien essayé de lutter, cependant la tentation était trop forte. Pourtant il est aisé de deviner comment la lutte entre la modernité et la tradition se termine. Je n'avais pas besoin de ''tricher''. L’on sait que la première finit par s’installer, par s’enraciner, d’une manière générale. Le temps joue en faveur de la modernité, ou du Progrès. Mais, tout de même, j’avais besoin de savoir. Non, j’avais peur de savoir. Je l’avoue, j’ai triché : je suis allée regarder les dernières lignes du roman. La dernière page. Et ça m’a coupé le souffle. Cette ultime page m’a obligée à revenir en 4e vitesse aux pages où je me trouvais, me demandant désormais à quel moment l’orage allait éclater sur la tête du héros. Comme pour Un enfant du pays, je n’ai pas du tout été libérée. Au contraire, j’étais saisie par l’angoisse. Celle de savoir quand et surtout comment les choses allaient prendre un tournant tel que le personnage ne serait plus en mesure de leur donner la direction souhaitée, malgré son expérience, malgré toute sa volonté, malgré la bienveillance du fleuve. Si Philibert Merlin se défie des hommes, il se repose entièrement sur sa complicité avec le fleuve. Il lui demande chaque matin, au fleuve, de lui donner de sa force. Il lui a juré fidélité. Il le respecte. Il lui voue une admiration sacrée. Le Rhône est à Philibert Martin ce que le Congo est à Emilie-Flore Faignond.

« Ce n’est pas du fleuve que vient le pire des maux, c’est de l’homme et de sa machine. »

(Le Seigneur du fleuve, page 60).

 

Couv SEIGNEUR DU FLEUVE

 

     Le fleuve continuera-t-il à être bienveillant envers les mariniers ? Le lecteur ne peut être sourd aux avertissements qui claquent à ses oreilles, que ce soit à travers les paroles des autres personnages (« Méfie-toi, le fleuve a varié », crie le Père Barillot à Philibert, page 57) ; l’expression des pensées du héros ou la description de l’atmosphère, comme à la page 68 : « Peu à peu, le soleil se libère. Il retrouve son éclat. Le vent se hâte d’éparpiller ce crachin de charbon, mais quelque chose demeure. Quelque chose qui finit par n’être plus visible, mais qui assombrit le matin et ternit le métal si propre du fleuve. »

     Finalement, la traîtrise viendra-t-elle des hommes ou du fleuve ? Ou des deux à la fois ? Et quels écueils Philibert Merlin va-t-il devoir affronter ? Quelle va être la circonstance qui va déclencher la fin du monde, je veux dire la fin de l’espoir ? Craignant de savoir, je finis par appréhender d’avancer trop vite dans ma lecture, chaque page tournée sans que l’orage n’éclate est une bouffée d’oxygène que j’aspire goulûment… avant d’être asphyxiée par le dénouement.

     Le sens propre et le sens figuré se côtoient intimement dans ce roman. Ils s’imbriquent l’un dans l’autre. Lorsque je parle d’orage qui éclate, il s’agit bien d’un orage au double sens propre et figuré.

     L’intrigue se passe au milieu du XIXe siècle, au moment où les machines à vapeur font leur apparition, provoquant une révolution industrielle qui pousse les artisans à une retraite anticipée. L’industrie du transport est ainsi fortement impactée par cette nouveauté : la route se trouve désormais concurrencée par le chemin de fer et les bateaux à vapeur remplacent peu à peu les bateaux mécaniques, ceux qui exigent de la dextérité, de la force, de la bravoure et, disons-le, de l'art, avec l'assistance des chevaux et la bienveillance du fleuve. 

     Et c’est la question qui, comme une ombre, s’attache au lecteur et lui ôte toute sérénité : cette confiance totale au fleuve sera-t-elle trahie ? Philibert réussira-t-il son pari ? A-t-il raison de lutter jusqu’au bout pour préserver le savoir-faire des bateliers, plutôt que de déposer les armes ? Doit-on abandonner lorsque tout indique que vous perdrez la bataille ? L’espoir ne prend-il pas parfois le visage de l’entêtement ? 

 

Photo Bernard Clavel

 

Bernard Clavel, Le Seigneur du Fleuve, Collection J’ai lu, Paris, 1975. Editions Robert Laffont 1972.

 

Né le 29 mai 1923, Bernard Clavel, Prix Goncourt en 1968 pour Les Fruits de l'hiver, est mort en 2010, à 87 ans. Il aurait eu 100 ans cette année 2023. Saluons sa mémoire... et son oeuvre !

 

28 juin 2023

"Comme les quatre saisons", poème de Adam SACHOT

Octobre et Mars sont différents

Il y a des jours de pluie, des jours de beau temps

Le soleil peut briller, le soleil peut se cacher

Mais pourtant, il y a du bon

Dans les deux camps

 

Ils n’ont pas la même saison

Pas les mêmes passions

Pour l’un c’est le vent

Pour l’autre la pluie

Mais ça les empêche pas d’être amis

 

Les jours de tempête,

Ils se font la tête

Chacun reste avec ses problèmes

Il n’y a plus de ciel bleu

Il est partiellement nuageux

 

Octobre et Mars sont différents

Octobre est mélancolique, Mars est joyeux

Parfois Mars ne comprend pas

Qu’octobre soit pluvieux

Et que son ciel ne soit pas radieux

Octobre lui répond

C’est normal, c’est la saison,

Mars n’a pas toujours raison

 

Octobre est sombre et préfère l’ombre

Mars est lumineux et pas frileux

Ils n’ont pas la même vie, pas les mêmes envies

L’un fait danser les feuilles mortes

L’autre fait pousser les fleurs

Ils n’ont pas la même personnalité, pas les mêmes idées

 

Décembre et juillet sont différents

Pour l’un c’est l’hiver, pour l’autre l’été

Décembre prépare le réveillon, pour Juillet c’est les moissons

Pour l’un c’est la neige, pour l’autre le chaud

Mais pour nous, ils sont tous les deux beaux

 

Décembre et Juillet sont différents

Décembre aime le froid, il est maladroit,

Juillet aime l’été, il est douillet

Décembre sort les confettis mais il est introverti

Juillet est chaleureux, il est plus extraverti

Et pourtant les deux sont amis

 

Eté, Automne, Printemps ou Hiver

Ils sont tous différents

Mais au-delà des apparences

On peut trouver des ressemblances

Il y a des jours de pluie, des jours de beau temps

Dans les deux camps

 

Comme les quatre saisons

Nous sommes tous différents

Pas la même personnalité, pas la même couleur

Pas la même région, ou religion,

Comme les quatre saisons,

Nous sommes riches de nos différences

Nos points communs nous rassemblent

Et nous sommes plus forts et plus grands ensemble

 

Poème écrit et interprété par Adam SACHOT, en mars 2023 devant un public constitué de l’ensemble du collège Saint-Grégoire de Pithiviers et le 1er juin 2023 lors du tournoi Grand Slam du 77 organisé par l'association LE PANORAMA, à Champagne-sur-Seine.

 

 

Photo réduite avec ADAM Palais des rencontres

(Au palais des rencontres de Champagne-sur-Seine, avec quelques-uns des élèves qui ont participé au tournoi.

De gauche à droite : Emma L., Caroline E., Adam Sachot, Elsa P. et moi-même).

 

 

Il ya des terres dont la fécondité ne laisse aucun doute, mais à quel degré ? Il faut, pour cela, semer quelques grains et observer comment ces terres transforment les grains en une production abondante, luxuriante, et à un rythme qui surpasse vos prévisions !

Il y a aussi des terres pour lesquelles vous pensez qu'il sera nécessaire d'y mettre de l'engrais et de les arroser régulièrement, abondamment, pour obtenir un résultat satisfaisant. Et puis vous vous apercevez qu'il n'aura pas fallu autant de peine, la terre était riche et n'attendait simplement qu'on lui prête un peu d'attention.

Mais il y a aussi des terres sur lesquelles vous n'auriez pas parié, parce que vous les croyiez arides ou inadaptées à la culture poétique... et puis vous voyez des grains prendre racine et donner du fruit, du beau fruit ! 

 

L'atelier de slam mené tout au long de l'année, en classe de 4e, est un formidable révélateur de la richesse littéraire que les élèves possèdent en eux et qui se révèle au grand jour, pour le plus grand plaisir des amateurs de poésie. J'aime particulièrement ce texte d'Adam, que je partage avec vous. 

 

Liss Kihindou

12 janvier 2023

Jean Malonga, premier écrivain congolais

     En ce début de l’année 2023, le nom de Jean Malonga s’impose naturellement à notre esprit. En effet, son roman Cœur d’Aryenne fut publié en 1953, roman qui marque la naissance de la littérature congolaise, du côté de la rive droite du fleuve. Ainsi, l’année 2023 est une année de célébration. Nous profitons de cette occasion pour souligner la noblesse du projet littéraire de Jean Malonga qui, pour sa toute première publication, fait des choix dont la valeur est hautement symbolique. C’est, en réalité, un double projet que l’auteur met en œuvre dans son Cœur d’Aryenne.  

     Il y a tout d’abord la volonté de briser les préjugés raciaux, en imaginant cette union entre le Congolais Mambéké et la Française Solange, malgré les multiples barrières qui se dressent devant eux et que le père de Solange, Roch Morax, incarne plus que tout. Il y a aussi la volonté de donner une autre image des Congolais, qui seraient de fieffés tribalistes. Que lui, Jean Malonga, un ressortissant du Sud, choisisse un héros ressortissant du Nord et qu’il mette en valeur non seulement une langue – le likouba – mais aussi une région – Mossaka et ses alentours – bien opposée à la sienne est un fait particulièrement significatif. Il a même une valeur politique.

     Les écrivains se servent de leur plume pour exprimer leurs convictions, traduire leur vision de l’avenir de l’humanité. Jean Malonga croit en l’homme, en sa capacité à faire un pas en avant pour que les générations suivantes vivent sous un ciel plus clément. C’est ainsi qu’il faut comprendre le dénouement du roman qui, malgré la tragédie par laquelle il se termine, est porteur d’espoir. Mambéké et Solange ne peuvent vivre librement leur amour, cependant leur enfant survit.

 

COUV Coeur d'Aryenne

 

     Le roman commence par une scène de sauvetage, un scénario souvent exploité en littérature. Le jeune Mambéké, 10 ans, sauve la fille des maîtres d’une mort certaine. Emportée par les flots impétueux du fleuve, elle serait morte noyée ou aurait fini dans la gueule du saurien qui la menaçait, si le courageux garçon ne s’était jeté à l’eau pour la secourir. Il ne reçoit pour remerciement de son geste que mépris de la part du père de la petite Solange, un colon qui se comporte en Seigneur sur ces terres congolaises où il fait fortune, où surtout il donne libre cours à une lubricité contre laquelle son épouse ne peut rien. Les mulâtres qui naissent à Mossaka sont les preuves vivantes de ses assiduités auprès de toutes celles qui lui plaisent et qu’il doit posséder, de gré ou de force. Ce sauvetage est le début d’une belle amitié entre les deux enfants, qui n’ont cure des interdictions et des préjugés, amitié qui se mue en amour lorsque les jeunes gens se retrouvent plus tard, devenus adultes, après avoir été tenus éloignés l’un de l’autre, pour mettre un terme à leur fréquentation.

     Ce roman met en scène non seulement l’exploitation coloniale, mais aussi l’hypocrisie religieuse qui a présidé à la colonisation. C’est également une ode à l’amour, un hommage à la résistance des autochtones contre les abus du pouvoir colonial, comme l’incarne Omboko, la petite sœur de Mambéké. Elle aurait pu être complètement brisée par ce qu’elle a vécu, mais elle tient ferme et redonne même à son frère le courage de relever la tête.  

     Cœur d’Aryenne, un roman que je vous invite à découvrir ou à redécouvrir en cette année 2023.

Lire mon premier article sur ce roman en cliquant sur le lien ci-contre : article Coeur d'Aryenne.

Liss Kihindou

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27 juin 2022

Je suis une esclave, journal de Clotee, de Patricia C. McKissack

Les jeunes d'aujourd'hui se rendent-ils compte de la chance, du privilège que cela représente d'avoir accès à la lecture, à l'écriture, bref à l'instruction d'une manière générale ? Cette question ne concerne pas que les jeunes d'ailleurs, elle s'adresse à tous. Nul n'est aussi conscient du caractère précieux d'un droit que celui qui en est privé. Le droit d'apprendre, le droit d'aller à l'école, le droit de lire, le droit d'écrire, de communiquer ses réflexions, ses sentiments, ses espoirs... tout cela est d'une telle banalité pour les citoyens du XXIe siècle ! Et pourtant, même en 2022, ces droits que nous pouvons qualifier d' "élémentaires" constituent encore un luxe dans certains pays. Je pense par exemple à des pays où le désir d'apprendre, celui des filles en particulier, est sévèrement réfréné, voire sanctionné.

 

COUV Je suis une esclave

 

 

Mais transportons-nous au XIXe siècle, aux Etas-Unis, quelques années avant la guerre de Sécession, qui comme on le sait opposa le Nord au Sud du pays, sur la question de l'esclavage. Faut-il y mettre un terme  ? Si la question se pose, c'est que plusieurs voix se sont déjà élevées contre cette pratique qui chosifie certains humains au nom du droit que s'attribuent d'autres humains à vivre de la vie des autres.  

Clotee, l'héroïne du roman Je suis une esclave, sous-titré Journal de Clotte, 1859-1860, entend parler des abolitionnistes : des personnes qui oeuvrent pour que les esclaves soient libres et qui prennent toutes sortes de risques pour cela. Mais qu'est-ce donc que la liberté ? A quoi ressemble-t-elle ? Clotee a beau écrire ce mot à plusieurs reprises, elle a du mal à se représenter ce que ça peut être. A travers son journal, on découvre sa vie, celle des esclaves d'une manière générale, on découvre surtout la soif d'apprendre d'une jeune fille de 12 ans, malgré les lourdes menaces qui pèsent sur tout esclave suspecté de savoir lire ou simplement de vouloir apprendre à lire. 

Interrogations sur l'esclavage, sur la société contemporaine et sur ce que chacun est en mesure de faire pour que les choses changent, car jamais les choses n'ont changé comme par enchantement. Ce que les gens attribuent aujourd'hui à l'évolution des mentalités n'est pas advenu tout seul, simplement parce que la société aurait gagné en humanité. Non, cette "évolution" est le fruit de combats successifs, de remises en cause qui se sont multipliées au point de radicalement changer la vision de la société. 

Parmi les acteurs du changement, des milliers d'anonymes et aussi des noms qui ont marqué l'histoire, comme Sojourner Truth par exemple, des figures inspirantes qui contribuent à renforcer le courage de la jeune fille. Il faut dire que Clotee elle-même deviendra une figure historique. En effet ce roman de Patricia McKissack est inspiré d'une histoire vraie, celle de Clotee Henley, qui apprit à lire et à écrire en cachette, tenant un journal intime, et qui mettra par la suite son instruction, son intelligence et son courage au service de la lutte pour la liberté des esclaves.

Je recommande vivement ce roman à ceux qui recherchent une oeuvre qui permette aux jeunes lecteurs de découvrir les réalités de l'esclavage d'une manière générale, et cette partie de l'histoire des Etats-Unis en particulier.

 

 

 

Patricia McKissack, Je suis une esclave, journal de Clotee 1859-1860, Gallimard Jeunesse, 2016, 224 pages.

Traduit de l'anglais par Bee Formentelli. Titre original : A picture of freedom, The diary of Clotee, Slave girl, 1997.

19 juin 2022

Pot-Bouille, d'Emile Zola

     Il y a chez l’homme une habitude tellement enracinée qu’elle devient presque un trait de caractère : c’est celle qui consiste à se comparer aux autres pour avoir conscience de sa position par rapport aux autres. Il se place ainsi sur une échelle, avec le désir effréné de se trouver le plus haut possible, enviant ceux qui sont au-dessus de lui et affichant le plus grand mépris envers tous ceux qui se trouvent en dessous de lui. Bien évidemment, l’indicateur numéro un que l’on retient comme critère pour déterminer la position de chacun sur l’échelle sociale est la capacité financière. Les plus nantis se considèrent comme appartenant à une classe supérieure, ils seraient des gens respectables, des gens que l’on doit honorer comme les meilleurs spécimens de la société ou l’humanité, tandis que les désargentés ne mériteraient aucun égard. Tu es riche, donc tu dois être respecté, acclamé ; tu es pauvre, tu ne vaux rien !

 

Pot Bouille

 

     Mais l’argent, affirme Zola à travers son roman Pot-Bouille, n’est pas un critère de respectabilité. Ce n’est pas parce qu’on a des moyens financiers plus importants que l’on est ‘‘supérieur’’. Si l’on doit estimer les gens du point de vue de l’honorabilité, ce sont des valeurs comme l’honnêteté, le respect, la dignité, la franchise, la reconnaissance, etc. qui doivent servir de poids sur la balance. Et là, on s’aperçoit que les gens les plus ‘‘respectables’’ du point de vue financier sont le plus souvent les moins dignes, eu égard à l’hypocrisie criarde qui est la leur : ils sont soucieux d’aller à la messe chaque dimanche, se présentant comme les croyants les plus religieux, mais foulant aux pieds chaque jour que Dieu fait les plus élémentaires des préceptes divins. Ils sont les premiers à donner des leçons de morale, les premiers à exiger la probité chez les autres alors qu’ils sont eux-mêmes les personnes les moins probes du monde.  

D’ailleurs, il faut déjà commencer par s’interroger sur les conditions dans lesquelles ils ont obtenu leur respectabilité financière. D’une cupidité excessive, ils sont prêts à tout, pourvu qu’ils deviennent riches : fraude, escroquerie, spoliation de biens… ils se donnent toutes les licences, la fin justifiant les moyens. Mais que d’autres ne s’avisent surtout pas de faire comme eux ! Ils se verront accablés des qualificatifs les plus injurieux. Bref, eux seuls ont le droit de dire au monde comment les choses doivent marcher, distribuant de bons points et des cartons rouges, du haut de leur chaire.  

Je risque d’être intarissable sur ce roman à travers lequel je vois, au-delà de la confrontation bourgeoisie et petit peuple, une lecture du monde d’une manière générale, avec cette fracture entre les ‘‘grandes puissances’’ et les pays dits ‘‘pauvres’’, les premières se prenant pour des gens exemplaires, responsables,  à qui il revient d’indiquer aux autres leur place, se donnant le droit d’intervenir ici et là, ayant un regard condescendant sur ces pays qui ne leur arrivent pas à la cheville. Cependant, dès que ces derniers manifestent le moindre désir d’indépendance ou de volonté de ne plus subir le mépris des ‘‘puissants’’, alors ceux-ci les accablent de toutes sortes de menaces, une manière de camoufler leur désarroi. En effet, ils ont conscience que leur position de ‘‘puissants’’ sera sérieusement mise à mal s’ils n’ont plus ces ‘‘pauvres’’ à exploiter, ces miséreux sur lesquels marcher et cracher quand bon leur semble.

C’est l’exemple de la pauvre Adèle, au service de la famille Josserand, sévèrement traitée par Mme Josserand, mal nourrie et exploitée au maximum, insultée, jetée dehors à l’instant où l’on relève le poindre reproche à lui faire, mais reprise systématiquement à la minute même où on la renvoie,  parce qu’on ne saurait se passer d’elle et parce que, surtout, on ne saurait trouver une autre domestique capable d’endurer de telles humiliations et privations.

C’est également le cas pour la mère Pérou, la vielle dame que le concierge, M. Gourd, emploie pour l’entretien de l’immeuble. Il la soumet à des travaux extrêmement pénibles pour son âge, pour une rétribution de « quatre sous », c’est-à-dire presque rien. Cependant, lorsque la pauvre vielle dame ose réclamer son dû, n'étant toujours pas payée au bout de plusieurs jours, M. Gourd se dit scandalisé par ces réclamations, il trouve même le moyen de revoir encore à la baisse la rémunération, décidant de ne pas payer certaines heures au motif que le travail est soi-disant mal fait.  

Bref, sachant qu’ils tiennent à leur merci les personnes nécessiteuses, qui n’ont nulle autre ressource que d’accepter le peu qu’on daigne leur accorder, ceux qui ont une petite parcelle du pouvoir que donne l’argent les exploitent outrageusement, comme des esclaves. D’ailleurs le sort du personnel de maison, celui des dames en particulier, peut être assimilé à de l’esclavage sexuel, puisqu’elles sont tenues de répondre aux sollicitations sexuelles de leurs maîtres, lorsque ceux-ci ne trouvent pas satisfaction auprès de leurs propres épouses. Les précautions qu’elles peuvent prendre ne servent à rien. Adèle par exemple, la cuisinière des Josserand, que tout le monde considère comme une malpropre, puisque, effectivement, elle ne se soucie pas d’être soignée, on comprend plus tard que c’était dans une volonté de détourner les regards de tous ces mâles de la bonne société auxquels elle pourrait difficilement dire non, à moins de se mettre en position d’être congédiée. Malgré cela, elle subit leurs assauts, devant parfois contenter le désir de plusieurs messieurs durant la même nuit, si bien qu’elle n’a presque pas le temps de fermer l’œil pour se reposer. Elle doit pourtant être levée aux premières heures du matin pour assurer ses fonctions. Adèle finit par se retrouver enceinte. La découverte de sa grossesse, hors mariage, dans un immeuble habité par des personnes « honnêtes », serait une catastrophe inimaginable. Elle réussit à dissimuler son état, jusqu’au moment où sonne l’heure de la délivrance.

« Ce n’était donc pas assez de ne jamais manger à sa faim, d’être le souillon sale et gauche, sur lequel la maison entière tapait : il fallait que les maîtres lui fissent un enfant ! Ah ! les salauds ! Elle n’aurait pu dire seulement si c’était du jeune ou du vieux, car le vieux l’avait encore assommée, après le Mardi gras. L’un et l’autre, d’ailleurs, s’en fichaient pas mal, maintenant qu’ils avaient eu le plaisir et qu’elle avait la peine ! Elle devrait aller accoucher sur leur paillasson, pour voir leur tête. Mais sa terreur la reprenait : on la jetterait en prison, il valait mieux tout avaler.»

                                                                     ( Pot-Bouille, Le Livre de Poche, page 449)

 

Adèle accouche seule, dans les plus grandes difficultés, dans le noir. Puis, grâce à la complicité de la nuit, elle va déposer l’enfant devant l’hospice. On imagine que si elle n’avait pas eu cette possibilité, elle aurait pu lui ôter la vie. Au moment même où Adèle gère les conséquences des abus sexuels qu’elle a subis de la part des maîtres, en particulier de Duveyrier, propriétaire de l’immeuble, celui-ci, qui est conseiller à la cour, se félicite de l’issue d’un procès qui s’est terminée par la condamnation d’une femme accusée d’infanticide. Il est choqué de l’augmentation du pourcentage des infanticides.  « Il est temps d’opposer une digue à la débauche qui menace de submerger Paris. » (p. 461) « On ne guérit pas la débauche, on la coupe dans sa racine. » (p. 463), déclare-t-il à ses invités.

Duveyrier, qui est sans aucun doute l’auteur de la grossesse d’Adèle, et qui n'a eu de cesse d'avoir des liaisons à gauche et à droite, se plaint de la débauche grandissante alors qu'il lui-même un débauché notoire. L’emploi de l’ironie est particulièrement savoureux dans ce roman.

Zola s’intéresse au sort des jeunes filles, à l’éducation qui leur est donnée : une éducation qui explique les écarts futurs. Soit on les incite à la coquetterie, à être prêtes à tout pour les parures, y compris à offrir leur corps en échange des objets qu’elle convoite ; soit elles sont tenues dans un cadre tellement rigide et morne que plus tard l’adultère devient comme une distraction ; soit elles sont préparées à ne pas avoir de volonté propre, étant disposées à faire ce qu’on attend d’elles, comme Marie Pichon dont la passivité face aux assiduités d’Octave Mouret est proprement révoltante. Des femmes instruites et indépendantes financièrement, voilà les vrais remèdes si l'on souhaite une société plus ''saine''. 

Deux éléments dominent dans ce roman : l’argent et le sexe, les deux nerfs de la société, source de toutes les spéculations, de toutes les déconvenues.

 

Emile Zola, Pot-Bouille, dixième volume des Rougon Macquart, Le livre de Poche, 510 pages, 4.50€.

 

8 mars 2022

DES FEMMES ENGAGEES DANS LA VULGARISATION DES LETTRES AFRICAINES

La littérature africaine demeure un secteur qui a besoin d’être développé, d’être mis en lumière. Parmi les facteurs qui l’empêchent de se déployer comme il se devrait, l’on peut citer la difficile circulation du livre en Afrique, la carence au niveau des structures qui participent d’ordinaire au rayonnement du livre auprès du public. Face à cette situation, des femmes d’Afrique ont décidé de se lancer dans l’action. Grâce Bailhache, Carmen Toudonou, Flore Zoa sont quelques-unes de ces femmes d’action dont l’impact se fait ressentir de manière concrète et pérenne sur le terrain. Elles font bouger les lignes et elles suscitent l'enthousiasme d'autant plus qu'elles sont filles du continent. Mongo Beti et Odile Tobner ont bien raison d'affirmer que "Rien de durablement heureux ne peut advenir aux Africains sans leur initiative et leur enthousiasme". (1)  

 

     Il manque encore, dans les pays d’Afrique, une vraie politique de valorisation du livre et des métiers qui lui sont associés : éditeurs, libraires, bibliothécaires, documentalistes...  Si les jeunes résidant en Afrique lisent peu ou moins que les autres, ce n’est certainement pas parce que leur intérêt est moindre, mais c’est bien parce que l’accès au livre est un luxe pour un grand nombre de familles ; parce que les initiatives qui permettraient à cette jeunesse d’étancher sa soif de culture se comptent sur le bout des doigts.

     Plutôt que d’attendre que les institutions publiques se saisissent du problème – on se demande même si ce n’est pas à dessein que ces institutions négligent ce secteur, sachant qu’une jeunesse bien nourrie intellectuellement se transformera demain en citoyens exigeants vis-à-vis de leurs gouvernants – des jeunes femmes ont décidé de s’investir dans la vulgarisation de la littérature africaine, de se dévouer entièrement à cette cause qui, pour elles, est hautement symbolique.

  

LIRE ET FAIRE LIRE LES AUTRICES D’AFRIQUE

      Les auteurs d’Afrique sont de plus en plus lus en Occident et ailleurs dans le monde, grâce notamment aux prix littéraires qui sont un excellent coup de projecteur sur ces auteurs, sur la littérature africaine en général. Mais ces auteurs primés ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt, au contraire ils doivent être regardés comme des indicateurs de la richesse d’une littérature qui se diversifie au fil des décennies.

 

Grâce Bailhache

(Grâce Bailhache)

 

     Grâce Bailhache, promotrice culturelle, se propose de faire découvrir la richesse et la diversité des lettres d’Afrique, notamment les plumes féminines, avec sa plateforme « JIFA Bookclub », un club de lecture qui fait une belle campagne de promotion des œuvres d’écrivaines africaines ou originaires d’Afrique. Au départ, elle avait commencé par valoriser les talents féminins d’Afrique en célébrant, d’une manière particulière, depuis 2015, la Journée Internationale de la Femme Africaine (JIFA), qui a lieu le 31 juillet. Elle met à profit l’outil numérique pour toucher le plus large public. Grâce Bailhache possède l’art et la manière de redonner du lustre à des œuvres qui restent parfois en dehors du champ de vision de certains lecteurs qui ne demandent qu’à les découvrir ou les redécouvrir.

 

SUSCITER L’ENGOUEMENT

     Dans des pays où l’avenir de la femme est encore vu comme étant associé au mariage et à l’épanouissement en tant que mère de famille, il est absolument indispensable de faire comprendre aux jeunes filles que leur épanouissement intellectuel est aussi une aspiration noble, qui ne doit pas les faire culpabiliser. Carmen Toudonou, écrivaine et journaliste – elle anime entre autres l’émission littéraire « Voyage littéraire » – a créé, depuis 2016, le concours « Miss littérature ».

 

 

Carmen-TOUDONOU

(Carmen Toudonou)

 

Ce concours était d’abord organisé au Bénin, puis, le succès de cette initiative ayant traversé les frontières béninoises, le concours connaît aujourd’hui la participation de plusieurs pays d’Afrique noire francophone et fonctionne un peu comme le concours de miss auquel nous sommes habitués, avec une présélection dans chaque pays participant, puis une finale qui met en compétition les finalistes de chaque pays. Bien évidemment les épreuves sont toutes liées à la culture littéraire africaine et à l’écriture. Les jeunes filles sont ainsi encouragées à lire un maximum d’auteurs africains et à mettre en valeur leur intelligence, leurs compétences intellectuelles.

 

METTRE A DISPOSITION DES LIVRES

     Flore Agnès Nda Zoa, avocate de profession et férue de littérature, a pris conscience que si la littérature africaine obtient des lauriers, c’est essentiellement grâce à des initiatives portées par des Occidentaux. Il est temps que les Africains aussi s’investissent dans ce domaine. Elle a créé, en 2015, une association dénommée « La CENE littéraire », qui a pour objectif d’être au service de la promotion des lettres d’Afrique. Par le biais de cette association, Flore Agnès Nda Zoa lance de nombreuses actions dont les répercussions sont aujourd’hui d’ordre international. Tout d’abord l’association récompense chaque année un roman écrit par un auteur africain ou afro-descendant : le « Prix Les Afriques ». Ensuite l’association organise des cafés littéraires dans différents pays d’Afrique, mettant à disposition des exemplaires du roman primé, qu’elle offre gracieusement aux jeunes devant participer à ces cafés littéraires.

 

Flore Zoa 2e photo Avocate redim

(Flore Zoa)

L’association La CENE littéraire travaille ainsi avec des enseignants, des universitaires, écrivains, des acteurs culturels résidant en Afrique. Depuis sa création, ce sont des centaines, bien plus des milliers de jeunes résidant en Afrique qui ont eu l’opportunité de lire et d’exprimer leurs impressions sur les livres lus. L’association organise aussi, entre autres, des concours d’écriture. Mais là où Flore Agnès Nda Zoa se fait particulièrement remarquer par sa volonté de mettre le livre à disposition de la jeunesse africaine, c’est qu’elle a créé une maison d’édition pour pouvoir rééditer des classiques africains pour une circulation en Afrique à un prix qui tient compte du pouvoir d’achat local, autrement dit proposer de grands classiques africains à un prix accessible à tous. Elle a par exemple obtenu des Editions Julliard le droit d’exploitation en Afrique du roman de Cheikh Hamidou Kane, L’aventure ambiguë, et des œuvres de Ferdinand Oyono : Une vie de boy, Le Vieux nègre et la médaille et Chemin d’Europe. Une première ! Le tout dernier classique a être mis sur le marché africain, grâce aux Editions Flore Zoa, est le roman de Boubacar Boris Diop Murambi, le livre des ossements.

 

L’Afrique a des talents, L’Afrique a un patrimoine littéraire qui ne cesse de s’enrichir et il ne dépend que des filles et des fils d’Afrique de mettre en valeur ce patrimoine.

 

Liss Kihindou.

 

Liens :

JIFA BookClub

Miss Littérature

La CENE littéraire

 

1. Mon Beti et Odile Tobner, dans l'avant-propos du Dictionnaire de la Négritude, L'Harmattan, 1989.

7 février 2022

Ténèbres à midi, de Théo Ananissoh

Ténèbres à midi. Voici une photographie de l’Afrique. Une photographie qui montre une double face. Il y a la misère flagrante, les conditions de vie extrêmement révoltantes qui vous invitent à souscrire tout de suite à l’équation Afrique = pauvreté. Puis il y a le luxe tapageur, celui qui remet en cause la pauvreté intrinsèque de l’Afrique. Non, l’Afrique n’est pas pauvre.  Les populations sont maintenues exprès dans l’insalubrité et l’absence du minimum vital. Une manière de briser leur humanité, de les maintenir en quelque sorte dans un état de servitude. Ainsi, les habitants sont désarmés, pas simplement matériellement, mais aussi moralement, psychologiquement, intellectuellement. Ils ne constituent pas une menace pour le système.

 

COUV Ténèbres à midi

 

Il suffirait que ceux entre les mains de qui reposent les deniers du pays manifestent un tout petit peu de bonne volonté pour fournir à la population ce minimum grâce auquel elle se sentirait digne. Mais voilà, avec la dignité et l’orgueil personnel retrouvé, les habitants deviennent exigeants et difficiles à contrôler. Il est plus flatteur pour elle, pense la classe dirigeante, de voir croupir leurs compatriotes, de les voir ramper devant elle. Peu importe que le pays offre un visage aussi révoltant, les classes politiques africaines se contentent de leurs quartiers résidentiels, elles ne semblent pas tenir compte du fait que c’est dégradant même pour elles, pour leur image de dirigeants, de savoir que les habitants du pays qu'ils dirigent vivent dans des conditions dégradantes.

Mais quand aux commandes du pays se trouvent des personnes qui tirent leur fierté, non des actions qu’ils entreprennent pour une population plus digne, plus instruite, mais du pouvoir de disposer de toutes les femmes qui les intéressent, surtout celles de leurs collègues, alors on continue à patauger dans la médiocrité et à être la risée des observateurs étrangers, qui eux également ne se préoccupent que de tirer leur épingle du jeu. L’Afrique, hier comme aujourd’hui, est un gâteau que certains se réservent le droit de déguster. Ceux qui sont susceptibles de remettre en cause le système sont mis hors d’état d’agir. Les compromettre ou les éliminer. « L’humiliation ou la mort ».

Il est facile de porter un jugement de l’extérieur. On ignore les réalités vécues par ceux qui vivent sur place, y compris au cœur du système. On se croit en plein jour, en vérité on avance dans une nuit totale. « Ténèbres à midi ». 

 

Théo Ananissoh, Ténèbres à midi, Editions Gallimard, collection Continents noirs, 2010, 140 pages. 

29 janvier 2022

Dans le Ventre du Congo ou la confrontation des paroles

Dans le Ventre du Congo est un roman qui interroge la valeur de la parole. Celle qu'on profère. Celle qu'on donne. Celle qu'on transmet. Celle qu'on transforme en écrit.

 

L'écrit a-t-il plus de poids que l'oral ?

 

 

"Le Blanc qui n'accorde que peu de crédit aux paroles qui enfourchent le vent s'est offert à travers l'écriture un serviteur de qui il peut tout obtenir, à commencer par le dernier mot."

(Dans le Ventre du Congo, page 42)

 

Ainsi, l'écrit serait revêtu d'une autorité qui relègue l'oral au second plan. Mais alors, les paroles orales ne sont-elles que du "vent" ?

Qu'il soit écrit ou oral, le discours que l'on tient a indubitablement un rôle dans la construction ou la reconstruction de l'être. Même le discours d'une disparue a une incidence sur la vie de ses descendants vivants.

"Dans ce qui pourrait passer pour un soliloque, le but véritable, ma nièce, est de délivrer la parole qui défait les noeuds, brise les chaînes et éclaire la route du marcheur." 

(Dans le Ventre du Congo, page 34)

 

Quand votre histoire est éclaboussée par autrui, quand votre nom, votre dignité ont été traînés dans la boue, il faut les rétablir dans leur éclatante vérité. Et cela se fait grâce au pouvoir de la parole.  

"Laisse-moi te parler. Parce qu'il n'y a que le pouvoir de la parole pour recoudre la camisole de l'honneur perdu sous le regard scrutateur des gardiens de la mémoire."

(Dans le Ventre du Congo, page 34)

 

La parole a de la valeur, surtout la parole donnée, à condition que cela se soit fait librement.

"[...]L'honneur d'un homme (réside) dans la parole donnée hors de toute contrainte [...]". 

(Dans le Ventre du Congo, page 41)

 

Peu importe que la parole soit orale, elle est vivante ! Surtout la parole donnée. Cette promesse que vous faites peut vous rendre libre ou au contraire constituer un noeud qui obstrue votre vie entière.

Robert Dumont, qui a fait à Tshala Nyota Moelo mourante la promesse de rendre à sa lignée le trésor qui lui appartenait, n'hésite pas à demander à son fils Francis Dumont d'accomplir cette promesse qu'il n'a pu tenir lui-même de son vivant. Et comme il est brouillé avec ce fils et qu'il n'a pas pu le lui demander de vive voix, il laisse une lettre manuscrite avant d'être emporté par la maladie. Francis Dumont ne découvrira cette lettre ainsi que l'histoire des princesses congolaises de la dynastie des Kuba que de longues années plus tard. Son père n'est plus. Cette Nyota Moelo non plus. Pourtant la parole agit. Francis ne se contente pas de donner à Nyota, la nièce de Tshala Nyota, le collier avec la statuette sacrée qui appartient à leur dynastie. Il fait bien plus : il effectue le voyage jusqu'au Congo afin de rencontrer le roi Kena Kwete III, père de Tshala Nyota, grand-père de Nyota, afin de demander pardon au nom de son peuple et recueillir, il l'espère, la parole qui octroie le pardon.

On peut ainsi se sentir dépositaire de la parole proférée par autrui. Offensés et offenseurs se retrouvent dans une parole de réconciliation.

 

COUV Dans le ventre du Congo

 

 

Qu'est-ce qui vaut le plus à mes yeux : le discours de l'autre sur moi, sur mon histoire, ou bien mon propre discours découlant de ma propre connaissance de mon histoire ?

 

   Blaise Ndala met en scène la confrontation entre deux frères, chacun d'eux ayant une vision particulière de l'avenir, de la conduite à tenir. En effet, depuis que le colon s'est installé et a progressivement imposé sa loi, les peuples africains ont vu leur existence complètement bouleversée. Leurs valeurs, leurs traditions, leurs royautés surtout sont remisées en vestiges du passé, ce que le roi Kena Kwete III n'accepte pas. Mais son frère, le prince Osako, ouvre résolument ses bras au colon dont il perçoit la domination comme étant inéluctable. Il veut même s'engager volontairement pour participer à la guerre mondiale, contre le Nazi Hitler. Extrait du dialogue entre les deux frères :

- [...] Veux-tu me dire au nom de quoi  tu voudrais livrer ta poitrine au feu de ce monarque étranger avec qui nous n'avons pas un début de différent ?

- Les Belges sont les ennemis de l'Allemand. Le Congo belge appartient à la Belgique comme hier l'Etat indépendant du Congo était un cadeau de Léopold II à lui-même. Tu n'es pas sans le savoir, puisque le successeur de Dufour et ses maîtres de Léopoldville complotent pour te retirer le titre de roi. Ils s'apprêtent à retirer le rang de royaume au pays du Sankuru, et à Mushenge, siège du grand totem royal et des cérémonies les plus significatives de notre peuple, le statut de capitale.

- Paroles !

- Si ce n'étaient que paroles ! Voilà des années que les Belges ont pondu une loi qui a morcelé beaucoup de nos royaumes en petites loques honteuses nommées chefferies.

(Dans le Ventre du Congo, page 49)

 

Toutes ces dynasties, ces royautés, ces pratiques, ce savoir-faire, ce savoir-être, bref ces traditions, avec leurs forces et leurs faiblesses, qu'en reste-t-il ? Sont-elles enseignées ? Sont-elles apprises aux jeunes générations ? L'histoire de l'Afrique ne commence pas avec l'arrivée de l'homme blanc sur le continent, il est nécessaire de le rappeler, et même de l'écrire, puisque l'expérience nous montre que la parole écrite est celle qui a "le dernier mot". Ainsi Blaise Ndala nous offre une belle page d'histoire avec ce roman.

 Pour terminer, voici les dernières paroles d'un homme sur le point de rejoindre l'autre rive :

"Tant qu'il me reste un souffle, enseignant, tant que la tombe à mon égard continue de prendre son mal en patience, laissez-moi venir à l'essentiel : depuis que la terre est notre demeure commune, des peuples se rencontrent, tantôt dans la joie, tantôt dans la douleur, tantôt sous l'étreinte de l'allégresse, tantôt sous le joug de la barbarie. Ce ne sont pas les blessures qu'ils s'infligent les uns aux autres qui comptent le plus lorsque le temps éclaire enfin nos vacillantes illusions de discernement. Ce qui l'emporte, fils, c'est ce que leurs enfants après eux en retiennent afin de bâtir un monde moins répugnant que celui qui les a accueillis."

(Dans Ventre du Congo, page 356) 

 

Blaise Ndala, Dans le Ventre du Congo, Editions du Seuil, 2021, 364 pages, 20€. 

 

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