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Valets des livres
30 avril 2014

Afropean Soul, de Léonora Miano

Quand on commence la première nouvelle du recueil Afropean Soul, on est tellement saisi par la manière dont, en quelques lignes, Léonora Miano, trace ce destin coincé, cette vie suspendue, cette impossibilité de résoudre un dilemme, que l’on se dit : c’est sans doute la meilleure ! Une nouvelle écrite comme une complainte, avec un refrain qui ouvre et qui ferme le récit de ce fou du ballon rond : « Je ne peux pas rentrer. Laisser la honte s’abattre sur moi. Les railleries et le mépris des autres m’engloutir. Autant mourir ici, comme une bactérie neutralisée, et que personne, jamais, n’en sache rien. » Le monde moderne est à ce point dominé par un maître tout puissant, l’Argent, que le jeune Camerounais est conscient du sort qui l’attend : on n’aura pour lui aucune considération, on le regardera comme un moins que rien. « Ici ou là-bas, il n’y a pas de liberté ». Alors autant ne plus exister pour les autres. Se noyer dans l’anonymat. Se faire tout petit. Ne pas déranger. Une vie qui se recroqueville, voilà ce qu’il devient.

 

Couv Afropean

 

Puis, on entre dans la deuxième nouvelle. C’est un autre cas de figure, émouvant lui aussi, mais pour d’autres raisons. Viviane, maman d’un garçon de neuf ans, Adrien, multiplie les efforts pour s’en sortir, pour élever son enfant comme il se doit, avec les moyens qui sont les siens. Mais tous ses efforts sont désespérés. Viviane ne peut empêcher l’inéluctable de se produire : « l’idée en marche ». Le comble c’est qu’elle ne semble pas le voir, tandis que le petit garçon, du haut de ses neuf ans, le perçoit : « sa mère est une combattante, mais il n’y aura pour elle aucune victoire » !

Que dire des « Filles du bord de ligne », ces filles dont les manifestations extérieures, que ce soit leur manière d’occuper la rue, de danser ou d’agresser les filles qu’elles estiment mieux nées qu’elles… toutes ces manifestations ne sont qu’autant de manières d’exister, des moyens d’être dans un monde où elles cherchent leur place. Elles aussi se trouvent à l’étroit. Au propre comme au figuré. 

Et puis il y a ces portraits de femmes, dans la nouvelle « 166, rue de C. », un titre qui à lui tout seul dit l’indifférence de la société face à celles que la vie a confinées dans la marge. Ces femmes dont les trajectoires ne se ressemblent pas, mais qui se ressemblent pourtant, n’ont pas choisi d’être là. Les politiques n’ont qu’à disserter sur l’ « identité nationale », elles, elles « se demandent seulement ce qu’elles vont devenir », car leur abri, si c’en est un, n’est que momentané, elles doivent céder la place à d’autres. De quoi sera fait demain ? Où vont-elles loger ? Comment vont-elles s’en sortir ?

Le style coupant, omniprésent dans les nouvelles, souligne le caractère rude de ces existences en quête d’équilibre. Dans ces nouvelles, on est en permanence sous tension. Le mot est d’ailleurs récurrent dans le recueil. Les personnages n’attendent qu’une chose : arriver « au bout de la piste », « parce que cette vie est tellement vide, tellement finie depuis le vagissement ». Pour tous ces Afropéens, c’est comme si les dés étaient jetés depuis leur naissance. Mais ce n’est pas parce que, comme dans les tragédies grecques, les dieux se mêlent de la vie des hommes, c’est au contraire parce que les hommes ont des manières de faire et de penser qui génèrent le chaos, qui attisent le feu, et lorsque celui-ci brûle la cité, on cherche ailleurs les causes de ces dérèglements. On regarde à la couleur, à l’origine, comme si l’immigration était la tache qui souillait l’« identité nationale ».  « L’idée » n’aurait peut-être pas été marche, mais elle se forge. La guerre des différentes couches de la société n’aurait peut-être pas eu lieu, mais elle n’épargnera personne.

Dans la nouvelle « Afropean Soul », le personnage principal en arrive à cette analyse de la situation, qui est l’aboutissement d’un processus que la société elle-même met en branle, une société qui favorise les positionnements extrêmes, comme ces jeunes Noirs, pourtant nés en France,  qui décident de « rendre coup pour coup » : « leur colère avait poussé sur un terreau préparé par d’autres, alors qu’ils n’étaient que des enfants. » Ils sont l’exemple de ce que deviendra peut-être Adrien, le petit garçon de la nouvelle « Fabrique de nos âmes insurgées », qui se termine ainsi : « Adrien a neuf ans. Il se met de plus en plus dans l’idée  de ne pas se faire avoir. Adrien n’a que neuf ans. Pour le moment. »

Finalement, difficile de classer ces nouvelles par ordre de préférence : on compatit au sort du footballeur désenchanté ; on a un faible pour cette mère-courage, Viviane ; on plaint les « filles du bord de ligne » qui n’ont pas conscience que le « voyage » annoncé par leurs parents ne présage rien de bon ; on admire la lucidité de cet Afropéen qui se rend à l’évidence ; on est écorché par les destins de ces femmes dont les blessures remontent à l’enfance.

Les nouvelles de ce recueil  font automatiquement penser au troisième roman de Léonora Miano, Tels des astres éteints, et un peu à Blues pour Elise. Bref, on retrouve l’univers de cette auteure à l’écriture remarquable, ou bien on apprend à le connaître, pour celles et ceux qui n’ont pas encore eu le bonheur de lire ses romans.

  

Léonora Miano, Afropean Soul et autres nouvelles, Flammarion, Collection Etonnants Classiques, 2008, 3.80 €.

 

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Commentaires
R
Merci mais j'ai un exercices sur ce texte
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