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Valets des livres
13 août 2014

La Couleur de l'écrivain, de Sami Tchak

Le douzième livre de Sami Tchak, La Couleur de l’écrivain, est présenté comme une « comédie littéraire ». C’est un essai dans lequel l’auteur répond aux questions que l’on adresse souvent aux écrivains, des questions qu’on lui adressa lors d’un débat littéraire animé par Boniface Mongo Mboussa, critique littéraire. Il est difficile, en raison du temps et de la diversité des interpellations venant du public, d’aller au bout de son raisonnement ou de le développer de sorte que les auditeurs en retirent la substantifique moelle telle que l’auteur la perçoit lui-même. Les questions, lors de ce débat, venaient essentiellement d’une dame, opiniâtre, désireuse de pousser l’auteur à se livrer. Mais peut-on se livrer en public ? Même lorsque l’auteur « s’attable » selon le souhait des lecteurs-auditeurs, la nudité affichée demeure partielle, elle conserve ses mystères. Un écrivain ne se dévoile mieux que dans l’intimité de ses textes.

 

Couv Couleur écrivain

 

Ainsi, pas à pas, dans ce livre, Sami Tchak prend le temps de répondre aux interpellations de la dame, apostrophée au début des courts chapitres qui composent cet essai. Vous définissez-vous comme un écrivain noir ? Comme un écrivain français ? Comme un écrivain engagé ? Comme un écrivain voyageur ? Avec quels écrivains entretenez-vous des liens particuliers, des liens qui vous ont influencé dans votre écriture ? 

Voilà quelques unes des questions auxquelles Sami Tchak répond. Le livre comporte trois parties. La première, intitulée « Peau et conscience », est dominée par une part autobiographique importante. On apprend beaucoup sur la vie de l’auteur, entre autres sa naissance, le passage du nom de naissance au nom de plume, la douleur que cela a constitué pour le père, sa relation avec ce père, ses voyages...

Dans la deuxième partie, Sami Tchak convoque les grands noms de la littérature, pour remettre à leur place les auteurs, les artistes en général, qui croient tutoyer les cieux alors que leurs œuvres sont loin d’avoir la portée qu’ils lui accordent, qu’ils espèrent. Comment répondre à la « prétention » de ces artistes si ce n’est par l’ironie, par le rire, celui de Dostoïevsky, de Tolstoï, de Gombrowicz, de Gracq, d’Erasme… qui en leur temps avaient déjà invité les artistes se prenant pour des dieux à plus de modestie.

La troisième partie, « Eloge de la sarienne », est l’immanquable hommage à Ananda Devi, auteur mauricienne aux origines indiennes qui s’habille souvent en sari. Ceux qui ont déjà lu Sami Tchak savent l’admiration qu’il a pour cette auteure, la complicité qu’il entretient avec elle et avec son œuvre, une complicité qui apparaît avec encore plus d’ampleur ici. Cette dernière partie est une invitation à relire l’œuvre de la Mauricienne, qui n’est pas toujours perçue comme l’auteure souhaiterait qu’elle le soit. C’est aussi le cas de Sami Tchak lui-même, dont on ne veut retenir que le caractère « sulfureux » de son œuvre, sans aller au-delà. C’est le cas de Mongo Beti, que l’on acclame comme « auteur engagé », en se passant de le lire. C'est le cas de bien d'autres auteurs.

En un mot, Sami Tchak invite le lecteur à connaître intimement les auteurs, les grands auteurs, à les lire vraiment, c’est ainsi qu’on participe à les faire vivre, même lorsqu’ils ne sont plus de ce monde. De bons livres, de bons auteurs, il y en a tant, et ce livre est un témoignage des nombreuses expériences de lecture de Sami Tchak, des expériences qui lui permettent de se mieux révéler à lui-même :

« Je fréquente les univers de multiples auteurs du monde, au cœur de plusieurs siècles, pour une meilleure qualité de mon dialogue avec ma propre intériorité, car j’estime que l’ouverture aux autres est d’autant plus riche que nous avons su creuser en nous-mêmes à la recherche pas seulement de notre différence mais aussi et surtout de ce qui fait de nous le condensé de l’humaine condition. »
(La Couleur de l’écrivain, pages 159-160)

Ce que j’ai aimé dans ce livre, c’est la manière dont, tout en livrant sa conception de l’écrivain, de l’écriture, l’auteur se livre lui-même, dévoile des éléments de sa vie, c’est une sorte d’autobiographie, en même temps qu’un essai, cependant il se met aussi en scène comme un personnage de roman. Par ailleurs il y a aussi des textes fictifs dans ce livre, des nouvelles.

Fictions, confessions, théâtralisation, poésie, argumentation se mêlent dans La couleur de l’écrivain pour le bonheur du lecteur. La part argumentative est peut-être la plus intéressante : le débat virtuel que l’auteur instaure (ou qu’il réinstaure) avec la dame qui l’interpella, et aussi avec des personnes connues, reconnues comme ayant voix au chapitre, comme l’universitaire Lilyan Kesteloot, par exemple. Il commente leurs propos, leur oppose des contre-arguments. On peut donc comprendre la frustration du lecteur dans un chapitre comme « Ainsi parle le professeur fictif », où, à aucun moment, on n’entend la voix de Sami Tchak, alors qu’on est impatient de savoir ce qu’il répond à l’argumentaire du « professeur fictif ».

Invite à la lecture, invite à la modestie, voilà en quelque sorte les lignes directrices de ce livre. La modestie, dans le domaine de l’écriture, car on se sent toujours forcément petit face aux grandes voix de la littérature : « La littérature, pour moi, est une religion, avec ses prophètes dont je m’efforce de devenir un disciple digne. » (page 23) La modestie dans la vie, car plane au-dessus de tous l’ombre de la mort, et elle s’abat où et quand elle veut. L’homme est un être si fragile qui croit gagner l’éternité par le biais de l’art.

Pour terminer, une dernière citation de Sami Tchak dans La Couleur de l’écrivain : « Je suis juste un moineau, mais un moineau conscient de ses blessures et de la tragédie que constitue le simple fait d’être vivant. » (p. 15)

 

 

Sami Tchak, La Couleur de l’écrivain, Editions La Cheminante, Collection Harlem Renaissance, 2014, 224 pages, 20 €.

 

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Commentaires
F
bravo pour cette chronique, chère Liss ! un livre facile à lire, mais impossible à résumer, tellement les questions qu'il pose renvoie le lecteur à ses propres réflexions. Et tu fais bien d'insister sur cette idée de la modestie de l'écrivain face aux grands, je trouve que Sami Tchak fait toujours preuve de trop de modestie, il est grand cet écrivain !
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