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Valets des livres
8 août 2014

Le Fantôme du quai d'en face, de Guy-Alexandre Sounda

Un jour, l’auteur du Fantôme du quai d’en face se fait interpeller par un clochard, sur un quai, à Paris. Il voulait passer son chemin, mais finalement il s’arrête, ou plutôt la parole du clochard l’arrête, car il la voit comme « une véritable jubilation poétique », et il a voulu la partager avec le public, en créant cette pièce.

 

Couv Sounda Fantômt

 

Elle comporte un seul personnage : Jonasz, qui se présente comme un ex-lésionnaire. Oui, on pense plutôt à ‘‘légionnaire’’, ce que Jonasz est : un soldat, un homme qui a accepté de se faire enrôler dans une guerre dans l’espoir d’échapper à la reconduite à la frontière, car Jonasz est un immigré sans papiers, dans un pays que l’on devine être la France, mais pourquoi nommer les lieux ? L’auteur ne le fait pas, car ce qui se passe ici se vit aussi ailleurs. Cependant, lorsque Jonasz rentre de guerre, il a une désagréable surprise : on l’a déclaré mort, et on le prend pour un revenant, un fantôme… ou un escroc. Sa femme, Nora, lui claque la porte au nez. Il devient clochard, condamné à vivre comme un fantôme, avec pour seuls repaires, sa valise, qui contient ses bribes de vie, ses souvenirs, inventés ou réels, car l’être humain a besoin de repaires, de point d’attache auquel s’amarrer pour ne pas sombrer. La valise contient des objets hétéroclites qu’il a personnifiés.

Ainsi, vu de l’extérieur, Jonasz pourrait passer pour un fou, pour quelqu’un qui débite des propos qui font un pied de nez à la raison. Mais sa logorrhée un peu loufoque est cinglante de lucidité, car ce n’est pas Jonasz qui est fou, mais la société qui perd le nord, qui se dégrade chaque jour davantage, qui subit de fortes lésions. Alors autant le désigner par le terme « lésionnaire ».

L’auteur joue en permanence sur la paronymie, autrement dit sur la ressemblance entre les mots et expressions connus avec ceux qu’il crée ou auxquels il donne une seconde vie dans de nouvelles expressions. Par exemple il évoque le « Connard déchaîné » où est publié un décret contre les immigrés, un décret du « Palais Bourdon ». Je ne donne là que quelques exemples, mais c’est essentiellement dans ce détournement des mots initiaux que l’auteur concentre toute la charge ironique de son texte. Ce procédé est particulièrement efficace lorsqu’il s’agit de pointer du doigt les « maux »  d’une société moderne qui crache sur la valeur humaine. Du nom glorieux des « Bourbon » , dont le palais est aujourd’hui le siège de l’Assemblée nationale, au bourdon qui pique, du « Canard enchaîné »  au « Connard déchaîné » , on aura mesuré toute la distance ironique contenue dans le choix des mots.

Quand ce n’est pas la paronymie, c’est de la parodie dont l’auteur use pour tourner en dérision, comme la réécriture de l’hymne national français : « Allons enfants de la fatigue le jour de poisse est arrivé… ».

Le personnage de Jonasz peut faire penser au héros du Revenant, roman au titre éloquent d’Henri Djombo, ou au Colonel Chabert, de Balzac. A ces trois personnages, la société dit : que n’êtes-vous vraiment morts, on n’a pas besoin que vous réapparaissiez comme ça, sans crier gare, on vous préfère morts que vivants, car votre mort arrange nos affaires. Ainsi va la vie, on se préoccupe de son intérêt, on regarde l’autre en fonction de ce qu’il peut nous rapporter, et si ce n’est pas le cas, on le condamne à mort, réellement ou symboliquement, sans état d’âme.

Le Fantôme du quai d’en face est une satire sociale et politique. L’histoire se passe en « l’an mille neuf sans papiers toilettes », ou en « l’an deux mille neuf sans neuf voitures neuves », peut-être même en « deux mille neuf cent chaussettes zaïroises », qui sait ? A vous de choisir. Mais une chose est sûre : « tendez les yeux ! Ouvrez les oreilles », Jonasz n’est pas fou, son propos nous concerne tous, nous ne sommes que des « ombres » ici-bas, même ceux qui croient être mieux lotis que les autres.


Extrait :

"Les mots vous savez sont comme les morts. C’est la vérité. Ils n’en font qu’à leur guise. Ils savent être plus coriaces que nous. Les mots et les morts sont les seuls capables de mettre de la lumière au creux de nos vagues à l’âne, au fond de nos abîmes, au plus loin de nos frayeurs. Ils sont libres. Le jour où ils voudront vous arracher la gueule personne ne les arrêtera. Maman me disait souvent : les morts c’est comme la terre, ils virevoltent autour du soleil, ils nous attendent au bout du chemin avec un burin en scandant des ritournelles de fumée et de feu…"

(page 18)


Vous pouvez lire aussi la présentation de Gangoueus ici

 

Guy-Alexandre Sounda, Le Fantôme du quai d’en face, Jounal parlé d’un ex-lésionnaire, Editions Dédicaces, 2009. 

 

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Commentaires
K
Laisse-toi tenter, tu ne le regretteras pas ! Guy-Alexandre Sounda prend à bras-le corps les questions de la société moderne et nous les présente à travers le regard d'un marginal.
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G
Humm ce fantôme du quai d'en face me tente drôlement Liss, j'ai eu peur à un moment d'un Chabert bis doublé d'un retour de Martin Guerre , mais tu as balayé cette appréhension au fil de la lecture. Je percois plus d'humour et je rajoute ce titre à ma wishlist d'automne. <br /> <br /> <br /> <br /> Grace
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