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Valets des livres
12 octobre 2014

La Trajectoire Idéo-Logique de l'Humanité, essai de Lou Belletan

Lou Belletan est un Français qui a adopté l’Afrique. Après avoir vécu dans plusieurs pays, dont le Congo Brazzaville, il jette l’ancre aux Comores, qu’il parcourt en long et en large. Il y vivra plus de trente ans, interrogeant les habitants, recueillant tout ce qui a trait à la tradition orale et écrite, car Lou Belletan est quelqu’un qui veut « comprendre le sens et l’origine des événements et des réalités». Ce travail de fourmi sera mené dans plus de 80 villages et villes du pays comorien. Au cours de ce travail, une chose a attiré l’attention de l’enseignant-chercheur-historien-philosophe qu’est Lou Belletan : la perception que l’on a de la femme dans cette société, dans les sociétés en général. En effet, les similitudes que l’on peut relever dans les différentes civilisations et cultures du monde sont si nombreuses que les antagonismes apparaissent comme dérisoires : l’humanité est une finalement… L’ensemble de ses analyses est publié dans La Trajectoire Idéo-Logique de l’Humanité, aux Editions Djahazi. C’est un essai intéressant, instructif sur des choses au premier abord banales parce qu'elles nous semblent familières (comme la manière d’organiser les funérailles par exemple), mais qui finalement nous en apprennent beaucoup sur l’Homme, sur son évolution au cours des siècles. Le livre est écrit dans un style accessible à tous.

Lou Belletan a bien voulu nous accorder une interview, qui a été publiée dans le magazine AMINA de septembre 2014.

 

Couv Lou Belletan

 

INTERVIEW

 

Lou Belletan, le projet de votre livre paraît bien ambitieux, car vous retracez l’évolution de la pensée, des croyances, des comportements de l’Homme depuis les origines jusqu’à ce jour, pourquoi cet historique ?

Mon objectif de départ était modeste ; je collectais la tradition orale dans les villages comoriens avec l’intention de rédiger un petit ouvrage touristique. Découvrant un fonctionnement socio-politique très différent de celui que je connaissais, je me suis posé des questions et, assez tôt, j’ai avancé des hypothèses pour les résoudre. A la fin du parcours, j’avais forgé une clé qui me permettait d’ouvrir le coffre comorien. Mais à ma surprise, cette clé (ou grille de lecture) me permettait d’ouvrir tous les coffres, d’entrer dans toutes les cultures du monde… Donc, nulle ambition de ma part  mais un travail de terrain, des hypothèses et des vérifications qui m’ont permis de rédiger ce livre T.I.H. qui présente une lecture explicative de l’aventure humaine. Naturellement, tous les phénomènes apparaissent dans le temps et dans l‘espace, en sorte  qu’il faut raisonner en terme de trajectoire ou trajet parcouru par l’esprit humain depuis son émergence.

 

La femme occupe une place importante, pour ne pas dire prépondérante dans votre livre. Vous invitez le lecteur à s’interroger sur le statut qui a été le sien au long des siècles, des millénaires. L’équilibre du monde, de la société dépend-il de la femme ?

Evidemment, le  mot équilibre veut dire  égalité des unités de poids (la livre) et cela exige bien que les deux genres soient à égalité (de droits et de devoirs), de même qu’on n’imaginerait pas d’avantager une jambe par rapport à l’autre…  En fait, la société équilibrée ne connaît et n’a à connaître qu’un seul statut et c’est celui de l’individu citoyen qui donc doit être écouté et entendu.

 

On découvre beaucoup de termes dans votre livre qui mettent la femme au centre : ‘‘matricentrisme’’, ‘‘matrilocalité’’, ‘‘matrilignage’’, ‘‘matriclan’’, ‘‘matrilinéarité’’, ‘‘matronymie’’… Parlez-nous de quelques uns de ces termes.

Considérons le terme MATRICENTRISME (société dans laquelle la mère tend à occuper le centre de la famille) comme une maison. Elle comportera un certain nombre de pièces : matrilocalité pour indiquer que l’épouse réside chez elle et dans son clan ; matriclan pour décrire le clan délimité par les femmes qui transmettent l’appartenance des individus ; matrilignages qui sont les branches de l’arbre matriclan ; matrilinéarité pour traduire la transmission des biens et des individus suivant la mère et non le père ; matronymie pour indiquer le nom de la mère (ou du clan de la mère) que certaines sociétés confèrent aux individus. Avant l’interdiction de l’inceste, cela devait être habituel, dans la mesure où l’identité du père était parfois difficile à repérer…

Je récuse le terme de matriarcat  parce que, selon moi, c’est un terme reconstruit sur le modèle patriarcat. Or, le patriarcat qui apparaît vers – 6.000 se caractérise par des traits précis : construction et organisation de la Cité, hiérarchisation de la société, apparition d’une classe dominante, travail forcé et oppression de la classe dominée, dégradation du genre féminin…  Dans la société matricentrée, il n’y a pas encore oppression.

 

Il y a un tableau intéressant dans votre ouvrage, qui montre l’analogie entre la femme, la mère, et la terre. Par exemple la terre reçoit la pluie et les semences qui germent en elle comme la mère reçoit la semence masculine qui contribuera à former l’embryon ; la terre contient en son sein animaux, tubercules, racines, comme la femme enceinte contient en son sein l’embryon qui deviendra fœtus etc. Quel éclairage ce tableau apporte-t-il sur l’humanité /la société ?

L’esprit humain est, dès l’origine, classificateur et analogiste. C’est dire qu’il recense les analogies = ressemblances approximatives  entre les motifs. L’analogie entre Terre et Femme est générale. Dans les temps premiers, dans un monde intensément boisé, le Ciel n’apparaît pas et on ignore son rôle. Donc, tout provient de la Terre et y retourne. Le culte des ancêtres provient aussi de ce qu’ils reposent en terre et qu’ils ressemblent à la semence ou au plan qui va re-surgir (voir les mythes de Dionysos, Perséphone, Orphée, etc.). Mais l’ancêtre primordiale a du être féminine, pour les raisons mentionnées.

 

Dans votre livre, vous désignez la femme par les lettres HF, c’est-à-dire « humain féminin », et l’homme par HM, « l’humain masculin », pourquoi cette distinction ?

Ecrire  H.M. et H.F., c’est remettre les deux genres à stricte égalité puisque l’important c’est H. qui comporte deux variables secondaires M ou F. Les langues bantou (en comorien mndrou mmé x mndrou mché) respectent cette symétrie tandis que la langue française est boiteuse sur ce plan.

 

On apprend dans votre livre que, du système matriarcal, les sociétés sont passées peu à peu au système patriarcal : quelles sont les conséquences de ce glissement vers des prérogatives plus importantes pour l’homme ? Y a-t-il un système qui soit meilleur que l’autre ?

Le tournant a été opéré quand les sociétés sont passées au stade de la métallurgie. A ce moment là, les esprits ont poursuivi l’analogie et vu le motif  Ciel (associé à HM) comme supérieur (parce que plus productif) au motif Terre (associé à HF).  Les prêtres des nouvelles religions du Ciel ont alors forgé une symbolique et une mythique qui a imposé de force la vision d’un monde de l’inégalité radicale.  // Ce sont les contestataires (en p.150) qui ont surgi pour dénoncer le monde des oppressions. Progressivement, ils ont gagné en audience, même si les oppresseurs continuent à dominer le monde. Il est apparu aux humanistes et socialistes que l’humanité devaient retenir le meilleur des deux premières étapes de l’Histoire et concevoir un monde nouveau où régnerait une égalité relative dont nul ne serait exclu.

 

Que représentent les Comores pour vous ?

L’archipel des Comores a donc été, pour moi, le précieux terrain d’études qui m’a permis de m’interroger, de forger des outils de compréhension, de construire une grille de lecture qui me permet de mieux appréhender les civilisations. Le monde bantou présente aussi cet intérêt d’avoir refusé, autant que possible, le passage aux religions du Ciel, même si l’organisation politico-économique mondiale y a rehaussé le statut masculin, au détriment du bonheur des peuples. La section swahili du monde bantou est une création de synthèse à partir de l’alliance entre Bantou et Arabes. La section comorienne du monde swahili a ceci de paradoxal que HM musulman va résider chez son épouse (ou chacune de ses épouses qui vivent séparément) et que ses enfants appartiennent au lignage de son/ses épouses.

 

Propos recueillis par Liss Kihindou.

 

Lou Belletan photo chercheur en déplacement

 (Le chercheur en déplacement)

 

Lou Belletan, La Trajectoire Idéo-Logique de l’Humanité, Editions Djahazi, 2010, 198 pages, 15 €.

 

Pour commander le livre, un chèque peut être adressé à :

Mme Marie Casimir

B.P. 08

06531 Peymeinade Cedex

France

 

Il est également possible de contacter l’auteur, notamment si on souhaite l’inviter à faire une présentation vivante de son oeuvre : lou.belletan10@gmail.com

 

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