Victoria, d'Annabelle Roussel
Victoria, ce n'est pas seulement un cri de victoire, victoire de la poésie sur la barbarie, c'est aussi un cri d'espérance. L'auteure exprime sa foi en un monde plus juste, mais cela ne se fera pas tout seul, Annabelle Roussel le sait pertinemment. Les poètes ne sont pas que des rêveurs, ils ont une conscience aiguë de la réalité, et la réalité est loin d'être belle en ce moment, avec les attentats d'un côté et, de l'autre côté, des dictateurs qui se font passer pour des présidents de Républiques démocratiques, alors même qu'ils torturent et assassinent tous ceux qui n'approuvent pas leurs méfaits. Annabelle Roussel invite au combat, à l'action. On ne peut pas se laisser museler par les puissants, on doit au contraire cracher notre vérité !
La révolte est le sentiment le plus vif qui se dégage de ce recueil de poèmes, comme l'exprime la couleur rouge qui distingue la lettre initiale du titre, le "V" de la victoire, symbole qui est repris à l'intérieur du recueil pour séparer les poèmes. Couleur de feu, car Annabelle Roussel brûle de l'intérieur, elle brûle de voir tant d'injustices, tant d'horreurs semées par la main de l'homme et qui se démultiplient jusqu'à faire plier le désir de se battre pour ce qu'on estime être une bonne cause, LA bonne cause.
Le désir de puissance, la volonté de dominer les autres, la cupidité de ceux que cela ne dérange pas de dépouiller, de déshériter les autres, du moment que cela les rend plus riches... tous ces maux ont proliféré partout où ils n'ont rencontré aucune résistance. Ces maux s'élèvent comme une vague géante qui s'abat sur les populations et les écrase. Mais les actions, les prises de parole, aussi timides soient-elles, lorsqu'elles se multiplient, finissent par former un mur qui se dresse face à cette vague malfaisante et réduit son impact, l'empêche de nuire. C'est ainsi que l'auteure encourage le peuple congolais à dénoncer les manipulations politiques, à revendiquer la liberté de vivre dans une nation respectueuse de la volonté du peuple.
"Bien plus que le joug de l'ignorance
Bien plus même que la loi du silence
Que la parole confisquée
Par la loi du mépris des lois
Par la loi du plus offrant
La liberté guide les peuples"
(Victoria, page 12)
Malheureusement l'instinct de révolte se meurt, or il faut nécessairement entrer dans l'arène pour faire entendre son cri de révolte, au lieu de cela on caresse les puissants dans le sens du poil.
"Toujours
La duplicité se déploie avec allégresse
Chante la louange des puissants
Comme du bon Dieu
Aussi bien que les convictions
Les plus politiquement correctes
Sans jamais lever le poing !
Sans jamais pousser un cri !
Troupeaux bêlants, repus de facéties
Allant à l'abattoir sans l'ombre d'un doute
Mais où as-tu mis ton instinct ?"
(pages 14-15)
Tout le premier chapitre du recueil est une invitation à la révolte, et pas seulement politique. Dans la vie, en général, il ne faut pas subir sans réagir, ne pas se morfondre, mais transformer nos échecs en source d'énergie, en tremplin pour rebondir et aller plus haut, plus loin.
"Si vous mordez la poussière
C'est pour vous nourrir encore
De la décomposition de vos petites morts"
(page 47)
Plus loin, on peut lire ceci :
"L'existence nous transporte
Comme mille feuilles mortes
Sur le grand courant des renoncements
Des reniements
Des règlements
Mais il ne faut pas
Non
Il ne faut pas plier."
(page 75)
(Annabelle Roussel tenant son livre)
Les poèmes d'Annabelle Roussel égrènent la vie, certains d'entre eux sont portés par le souffle de l'engagement, d'autres sont marqués par des accents lyriques qui ne laisseront pas d'émouvoir le lecteur. Les titres des chapitres sont explicites : "Révolte", "Silence", "Territoires", "Parole", "Désir", "Féminité", "Liberté".
Voici, pour terminer, un dernier poème, tiré du dernier chapitre, "Liberté" :
"Certains jours il faudrait pouvoir voler
S'élancer bien au-dessus du vide
Regonfler à fond ses poumons
Mettre à distance la vacuité.
Certains jours il faudrait pouvoir planer
Entre les nuages
Entre les cimes
Sans mesurer l'étroitesse de nos frontières intimes.
Certains jours il faudrait pouvoir clamer
Aux vents
Aux ventres à terre
Aux vents debout
Aux vents qui ventent
Aux vents contraires
L'absurdité de nos habitudes
La férocité de l'orgueil et de nos certitudes.
Certains jours il faudrait pouvoir se perdre
Assez
Assez pour ne plus retrouver son chemin tout tracé."
(page 71)
Annabelle Roussel, Victoria, poésie, préface d'Emilie-Flore Faignond, Editions Cana, 2016, 82 pages, 12 €.