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Valets des livres
15 août 2020

Remember Ruben, de Mongo Beti

Un matin, les habitants d'Ekoumdoum sont réveillés par des éclats de voix : Engamba, que son âge ainsi que sa respectabilité placent parmi les hommes vénérables du village, ne conçoit pas qu'un gamin lui résite, et quel gamin ? Un enfant errant, venu d'on ne sait où, marchant tout seul sur la route, et qui s'est jeté sur un oranger, pour étancher sa soif et sa faim. L'enfant est recueilli par un vieil homme généreux, qui décide de l'adopter, d'autant plus qu'il n'avait jamais connu le bonheur d'être père. Mor-Zamba devient donc le protégé du vieil homme, qui déploiera toute son énergie, toute sa sagesse, tous les moyens à sa disposition afin que son fils adoptif soit bien intégré dans la cité. Malgré cela, une distance séparera toujours Mor-Zamba des autres habitants, qu'elle se manifeste par une certaine hostilité, par la méfiance ou par le mépris, sentiments bien entretenus par Engamba et les siens. Une seule famille manifeste à son égard un réel attachement, si bien que le fils de cette famille, Abena, deviendra pour Mor-Zamba plus qu'un ami : un frère. 

 

Remember Ruben 6

 

Ekoumdoum connaît peu à peu des transformations liées à la présence coloniale dans la région. Le chef légitime est évincé, un autre chef, venu d'ailleurs, est imposé : le bras du pouvoir colonial. La jeunesse, par la voix d'Abena, s'étonne que les anciens ne fassent rien pour destituer le nouveau chef, dont ils désapprouvent pourtant les manières de faire. Mais comment déloger celui qui bénéficie de la protection du colon ? Et comment résister au colon si l'on ne possède pas, comme lui, des armes puissantes qui l'obligent à prendre en compte vos considérations ? jeune mais perspicace, Abena comprend le principe des relations humaines : ce n'est pas la justice, l'égalité, la fraternité qui priment, c'est au contraire la raison du plus fort qui domine. Or, les préoccupations des hommes tournent toujours autour de la femme, au lieu d'avoir pour objet l'acquisition d'armes qui obligeraient le colon à descendre de son piédestal : "Tout pour la femme et rien pour le fusil", c'est le titre de la première partie du roman.

Dans la seconde partie, nous suivons l'itinéraire de Mor-Zamba, que les épreuves les plus terribles rendent encore plus fort au lieu de l'anéantir. Comme Joseph vendu par ses frères mais qui deviendra finalement leur sauveur, Mor-Zamba devient une figure héroïque sans pour autant qu'il ne se départisse de sa modestie, de sa générosité, de sa noblesse. Lui-même ne se considère pas comme un héros, car le héros, c'est Ruben et les formidables espoirs qu'il soulève autour de lui, dans sa lutte pour l'indépendance du pays. Ruben se fait ''la voix des sans voix'', pour parodier Césaire, il est un danger pour le pouvoir colonial qui n'a pas l'intention de renoncer aux profits que lui procure sa colonie. Les méthodes pratiquées au sein des villages, pour contrôler la population, sont mises en oeuvre à léchelle nationale : on porte à la tête de la nation un président fantoche, qui n'aura pour d'autre utilité que de servir les intérêts du colonisateur. 

Mais la résistance s'organise et les autorités multiplient les tentatives pour museler définitivement Ruben. Seulement, la bonne parole avait déjà essaimé : le mouvement rubéniste ne s'éteint aucunement avec son leader, d'autres figures apparaissent et perpétuent le mouvement. Remember Ruben !

 

Remember Ruben 4

 

Mongo Beti  a orchestré son récit de telle sorte que la petite histoire croise la grande Histoire. Admirable !

Admirable aussi la force de l'amitié, la force d'une idée, capable de vous prémunir contre tout, jusqu'à ce que vous parveniez au but que vous vous étiez fixé, jusqu'à ce que, dirait-on, s'accomplisse votre destinée. 

Il était temps pour moi de me replonger dans un Mongo Beti. J'avais lu, il y a si longtemps, il y a trop longtemps, Ville cruelle, et puis Mission terminée. Je me souviens avoir particulièrement apprécié ce dernier roman. J'étais si jeune alors et Mission terminée correspondait bien à mon âge, je trouve. Mais il y a des oeuvres qui sont réservées à la maturité, et Remember Ruben fait partie de ces oeuvres-là. Un texte d'élection ! 

 

Mongo Beti, Remember Ruben, Paris, Editions L'Harmattan, Collection Encres noires, 1982 (première publication : 1974). 

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Commentaires
K
Le temps dont nous disposons est si précieux que je préfère parfois lire ou relire certains textes de référence, plutôt que de le perdre en lisant des des publications qui me paraissent parfois insipides...
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S
Voilà un livre qui nous plonge dans une actualité africaine qui n'a guère changé. De lui, je n'ai lu que VILLE CRUELLE... il y a de cela... Nous devrions prendre l'habitude de relire certains textes afin de découvrir leurs aspects que nous n'avions pas vus quand nous étions trop jeunes pour les voir.
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